Horacio Pagani : Les temps modernes, Lamborghini
Actualité Historique Pagani

Horacio Pagani : Les temps modernes, Lamborghini

Horacio Pagani - Joris Clerc - Top Marques 2014
Horacio Pagani - Joris Clerc - Top Marques 2014

Une page se tourne…

Parallèlement à son activité sportive Horacio continue celle professionnelle des commandes spéciales. Parmi ces dernières, un rugosimètre nécessite l’aide d’Oreste Berta. Ils sont maintenant des proches et Horacio s’ouvre à lui sur son projet de rejoindre un constructeur Italien.

Rugosimètre - Horacio Pagani
Rugosimètre – Horacio Pagani

Berta répond que seul Fangio pourra l’aider et profitant de sa proximité avec le champion arrange une entrevue avec ce dernier. La chose faite Horacio rencontre la légende au siège de Mercedes en Argentine. Le quintuple champion l’écoute. Horacio lui montre un dossier dans lequel se résume sa vie, tous ses projets et créations. Le pilote argentin écoute, consulte le dossier et finit par conclure : « Vous avez du talent et quelques amis pourraient vous aider, revenez la semaine prochaine, nous préparerons des courriers ».

“Grâce aux voitures de course, j’ai connu Oreste Berta, un grand maitre et une grande inspiration, et via Oreste Berta j’ai connu Fangio. Ce fut une expérience extraordinaire, une grande chance. Ce fut un privilège de non seulement le connaître mais aussi devenir son ami et de recevoir tant de conseils sur la vie, de parler voitures et tant de choses.” H.P.

Comme promis, Fangio rédige cinq recommandations adressées à Enzo Ferrari, Carlo Chiti, Alejendro De Tomaso, Enzo Osella et Giulio Alfieri.

Lettre de recommandation de Juan Manuel Fangio adressée à Enzo Ferrari pour Horacio Pagani
Lettre de recommandation de Juan Manuel Fangio adressée à Enzo Ferrari pour Horacio Pagani

Mi-Novembre 1982 parti pour deux semaines en Italie, profitant de ses attaches dans le pays, il organise sa visite des usines. Reçu par tous sauf Enzo Ferrari dont la santé déclinante l’indispose, il rencontre Maurio Forghieri. Tous lui tiennent le même discours, d’abord surpris par autant d’expérience accumulée à son âge, ils le félicitent puis regrettent une période incertaine. A cette époque, la situation économique italienne n’était guère meilleure qu’aujourd’hui, le chômage frappe la péninsule. Les syndicats contrôlent les embauches et l’impétrant étranger pose problème.

Lors des entretiens, l’Argentin traverse les locaux des usines et s’intéresse à l’une d’elle en particulier, Lamborghini. Tout lui plait, une taille humaine et une approche artisanale. Pour qui connaît un peu la marque, au début des années quatre-vingts, contrairement à Ferrari déjà industrielle, l’officine garde l’âme d’un constructeur des années soixante. A sa deuxième visite, le directeur Giulio Alfieri lui propose un emploi pour Juin 83.

Lamborghini LP500 - usine
Lamborghini LP500 – usine Lamborghini

Horacio retourne en Argentine, honore la totalité des contrats en cours et commence à préparer son déménagement mais coup de théâtre fin mai 83 lorsqu’il reçoit une lettre signée Alfieri. Cette missive l’informe qu’il ne peut l’embaucher, la situation économique empire et tous les recrutements sont bloqués. Soutenu par sa jeune épouse, notre homme abattu se ressaisit rapidement. Le 30 juin 1983, ils partent pour Appiano Gentile, province de Côme. Là, il trouve un emploi dans un atelier toujours désireux de rejoindre l’industrie automobile. Il revoit le directeur Alfieri qui lui réitère le contenu de sa lettre mais par courtoisie écoute Horacio.

“Je lui ai demandé de me donner un emploi, même passer le balai, lui rappelant que je devais concevoir les plus belles voitures du monde. A vingt ans, vous pouvez raconter n’importe quoi, ce qui d’ailleurs eut pour effet de le faire éclater de rire.” H.P.

Finalement, pour ses 27 ans, Horacio Pagani, décroche le saint graal, un emploi chez Lamborghini, pas forcément celui rêvé mais l’opportunité saisie il commence fin septembre comme manutentionnaire à l’atelier carrosserie. Harcelé, Giulo Alfieri accède à la requête de ce rêveur mais pas sans arrière-pensée.

Lamborghini LP500
Lamborghini LP500

Rapidement la nouvelle recrue, intégrée à une petite équipe, comprend que son embauche correspondant à la mise à la retraite non désirée du chef d’équipe. Ce dernier apprécie moyennement et renâcle à transférer ses compétences au nouvel arrivant. Horacio se retrouve au milieu d’un conflit qui le dépasse, peu importe, il persévère. Il se voit rapidement affecté au projet LM. Il travaille sur la mécanique, la carrosserie et réalise nombre de pièces de la cabine à commencer par les sièges et la climatisation.

Lamborghini LM
Lamborghini LM

“Mon expérience chez Lamborghini fut riche d’enseignements, merveilleuse. J’ai commencé comme manutentionnaire, au plus bas de l’échelle. Ce fut difficile mais très positif. Nous travaillions tôt le matin jusqu’à huit heures le soir. A cette époque Lamborghini était une petite entreprise artisanale. C’était la fin de la période artisanale, tellement romantique. Aujourd’hui Lamborghini est une industrie importante et merveilleuse, mais à ce moment elle était toute petite avec 160 personnes.” H.P.

A la même époque l’usine crée un département « Matériaux Composites » mais l’ingénieur choisi finit par abandonner face à l’hostilité des anciens. Nombre croit qu’une voiture de sport se construit de feuilles d’aluminium formées au maillet et montées sur un châssis tubulaire. Et qu’il en sera ainsi jusqu’à la fin des temps.

Lamborghini LP500 - usine
Lamborghini LP500 – usine Lamborghini

Bizutage ou non, Horacio remplace l’ingénieur démissionnaire. Une subvention du gouvernement italien touchée il faut sortir un projet, peu importe le résultat. L’Argentin apparaît comme une personne qualifiée à la vue de l’expérience acquise en Argentine, l’ingénieur Alfieri le sait. Rapidement le jeune prend la tête d’une petite structure qui sans grand moyen conçoit et construit une Countach révolutionnaire.

Lamborghini LP500 Countach Carbone
Lamborghini LP500 Countach Carbone

“J’étais à la tête du département « matériaux composites » et eu l’opportunité de construire la première voiture faite de carbone et Kevlar en 1985, la Countach Evolutzione. Le budget était ridicule. Mon équipe était constituée de jeunes. Le plus vieux avait 20-21 ans et le plus jeune 16-17 ans. Ensemble nous avons construit la Countach Evoluzione, la première voiture recevant châssis et carrosserie en matériaux composites.” H.P.

Lamborghini LP500 Countach Evoluzione
Lamborghini LP500 Countach Evoluzione

En 1985, l’exemplaire unique établit un record de 330km/h sur la piste de Nardo. Le gain de poids et la rigidité de la voiture impressionnent Valentino Balboni. Encore aujourd’hui il reconnaît que Lamborghini n’a su détecter le potentiel d’une telle architecture avec cellule centrale entièrement faite de matériaux composites, à l’instar d’une Aventador. La voiture finira détruite dans les crashs tests d’homologation passés sans problème. Malgré cela, Lamborghini ne voit pas l’utilité d’acquérir un Autoclave, les pièces de la Countach « Evoluzione » ayant été « cuites » dans un four traditionnel.

Lamborghini LP500 Countach Evoluzione cellule Carbone
Lamborghini LP500 Countach Evoluzione cellule Carbone

Auréolé de cette réussite Horacio se voit confier pour les 25 ans de Lamborghini, 1987, la réalisation du modèle phare de la marque, la Countach 25ème anniversaire. Le design et la réalisation des pièces de carrosseries en composites lui incombent.

Lamborghini Countach 25ème anniversaire
Lamborghini Countach 25ème anniversaire

Le modèle reprend la mécanique de la Countach 5000 Quattrovalve. Au total la marque vend 670 unités contre 170 prévues, second succès et malgré cela la marque ne daigne toujours pas acquérir un four Autoclave. Horacio décide de passer outre.

“Lamborghini ne croyait pas dans la technologie, trop récente pour être utilisée. Le coût était encore élevé. Malgré cela, nous avions besoin d’un autoclave, je suis donc allé voir le directeur. Je me souviens de sa réponse «Pourquoi devrions-nous acheter un autoclave?” Si Ferrari n’en possède pas ? “. À ce moment, j’ai pris mon vélo et je suis allé à la banque demander un prêt pour l’acheter. Je l’ai fait et je suis retourné à l’usine montrer le contrat au directeur général, il m’a traité de fou! J’ai demandé un emplacement dans l’usine, mais il m’a dit que je ne pouvais pas apporter une machine que je possédais personnellement. Constatant mon obsession, il me conseilla de louer un entrepôt et de réaliser des recherches sur la technologie.” H.P.

Lamborghini Countach 25ème anniversaire
Lamborghini Countach 25ème anniversaire

Fin 1987, avec le reste de l’argent du prêt, il installe son acquisition dans des locaux loués. Il peut maintenant laisser libre cours à son imagination sans contraintes extérieures. Bien que toujours salarié du Taureau, rapidement Lamborghini l’officialise sous-traitant. Il réalise pièces et moules. Son premier travail majeur concerne le capot tout carbone d’une Countach. L’usine impressionnée par le résultat lui demande de concevoir un maximum de pièces en carbone pour la Diablo planifiée pour 1990. Au final, Horacio dessine et réalise en carbone les pare-chocs avant et arrière, le capot avant et moteur, les seuils de portes et la baie moteur.

Nous sommes au début des années quatre-vingts dix, Lamborghini lui confie un nouveau projet, code L30, pour le trentième anniversaire de la marque.

Lamborghini L30
Lamborghini L30

Parallèlement Horacio travaille sur la Diablo VT, encore un projet sous-traité par l’usine.

Lamborghini Diablo VT
Lamborghini Diablo VT

Alors que sur le point d’embaucher pour répondre à la demande, la guerre du Golfe stoppe tout. Chrysler revend la marque peu lucrative et l’usine stoppe tous les projets. Le secteur aéronautique aussi impacté propose ses services à bas coûts aux constructeurs automobiles. La relation avec Lamborghini se distend. Sa petite entreprise travaille maintenant pour Aprilia, Dallara, Rossignol et d’autres entreprises. Horacio planche même sur les chaussures d’Alberto Tomba, des sulky et selles de vélo.

Sulky Cristina
Sulky de Cristina (épouse d’Horacio)

En 1991, Modena Design voit jour et courant 1993, fort de l’expérience acquise, Horacio se convint que maintenant construire sa Supercar concrétisera ses efforts et rêves. Ce à quoi il s’attèle avec son équipe. Son vieil ami Fangio le recommande à la direction de Mercedes qui accepte après contrôle de son travail de fournir un moteur au prototype. Horacio travaille nuit et jour, finançant le projet sur ses fonds personnels.

Modena Design
Modena Design

Parallèlement, en 1997, la direction de Lamborghini incertaine sur les choix stylistiques de l’évolution de la Diablo s’en ouvre à Ubaldo Sgarzi, ancien directeur marketing de l’âge d’or du Taureau. Ce dernier informé du projet de Modena Design propose à Lamborghini de racheter celle qui deviendra la Zonda pour en faire leur nouveau modèle phare. De quoi rendre Horacio très riche. A cette époque il manque de moyens financiers et une telle décision sécuriserait l’avenir de sa famille. Il décide de la consulter pour finalement se rendre à l’avis de l’ainé de ses fils, 10 ans qui lui dit : « Tu rêves de construire cette voiture depuis toujours, comment pourras-tu assumer de renoncer si prêt du but ? ». De là naitra celle qui deviendra la Zonda et placera aujourd’hui définitivement Horacio Pagani au coté d’Ettore Bugatti.

Au final, son ami Valentino Balboni, légendaire pilote d’essais de la marque, parle le mieux d’Horacio :

“La culture de Ferrucio Lamborghini et Enzo Ferrari vit toujours en lui. Pour un vieux romantique comme moi, c’est bon de voir quelqu’un travaillant ainsi. Il y a encore une quinzaine d’années une personne talentueuse pouvait réussir seul un tel challenge s’il avait le gout et le désir de la persévérance, le talent émergeait. Aujourd’hui nous travaillons en équipes intégrées, les résultats sont plus parfaits mais finalement cela manque de passion.” V.B.

Valentino Balboni - Lamborghini Miura - Joris Clerc
Valentino Balboni – Lamborghini Miura – Joris Clerc – 50 ans de Lamborghini

Conclusion

Je souris en pensant aux dires d’un ami s’asseyant dans une Huayra mitoyenne à une Mclaren P1 : « Assis dans l’italienne, derrière son volant, l’Anglaise me semblait transparente ». Que demande-t-on à ces voitures, peut-être bien du charisme, de l’émotion ? Peu importe, une chose semble certaine, les performances exceptionnelles à ce niveau de production paraissent bien secondaires.

“Notre objectif est de travailler suivant les préceptes de Léonardo Da Vinci en mariant l’art et la science. En utilisant ce concept nous essayons de créer une automobile générant suffisamment d’émotions et d’intérêts afin de convaincre des clients de dépenser beaucoup d’argent pour une voiture fondamentalement inutile.

Je ne fais pas tout cela pour l’argent. Vous devez donner un sens à la vie.” H.P.

Horacio Pagani - Joris Clerc - Salon Genève 2014
Horacio Pagani – Joris Clerc – Salon Top Marques Monaco 2014

Ici s’arrête ma genèse consacrée à Horacio Pagani. Le reste appartient à l’histoire connue mais si vous souhaitez découvrir en plus détaillée cette période et celle de la création de Modena Design, de la gestation et de la production de la Zonda, je vous invite à commander le livre officiel «Pagani : The Story Of a Dream ». Son auteur principal, Roberto Morelli, commença à travailler dessus en 2000 pour conclure dix ans plus tard, avec pour résultat une merveille, surement le plus bel ouvrage de ma collection en comportant plus d’une centaine, rares et détaillés. Je le consulte régulièrement.

Pour commander le livre officiel Pagani, > IcI <

Pagani : The Story Of a Dream - Roberto Morelli
Pagani : The Story Of a Dream – Roberto Morelli

Sources, livre Pagani, A story of a Dream

Crédit photos @ Joris Clerc & Pagani

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