Comme toute aventure humaine, la renaissance italienne de la marque Bugatti, a connu le succès et la tragédie. Relancer une marque dont le nom est gravé au panthéon automobile n’est pas une chose aisée. L’empreinte laissée par son créateur Ettore Bugatti, et son fils Jean, est telle qu’il a fallu réunir à Romano Artioli, à la tête de ce projet, l’exception à tous les niveaux : humains, techniques, organisationnels et financiers. En cette toute fin de 20ème siècle, Bugatti créa l’EB110, l’une des trois meilleures supercars avec les Ferrari F50 et McLaren F1.
Genèse enthousiaste
L’annonce de la résurrection de Bugatti déclencha une avalanche de vocations, les plus grands noms du moment s’étant portés volontaires pour participer au projet EB110 : Aérospatiale, Elf, Michelin, Messier-Bugatti (avec sa filiale Snecma), Marcello Gandini, Paolo Stanzani, Nicola Materrazzi, Giampaolo Bendini, Jean-Philippe Vittecocq… Autant de compétences à orchestrer, imposait un manager à l’autorité incontestée, l’industriel italien Romano Artioli (lire notre article ici). Marcello Gandini (Lamborghini Miura et Countach, notamment) se chargea du design, non sans éclats puisqu’il refusa de retoucher son dessin à la demande d’Artioli qui le remplaçât par Giampaolo Bendini, Paolo Stanzani développa le moteur, Nicolas Materrazzi – ex-responsable du développement de la Ferrari F40 – en assuma la direction technique et Jean-Philippe Vittecocq fut chargé de la mise au point des trains roulants. Six prototypes de la Bugatti EB110 furent construits entre 1988 et 1991.
La Bugatti EB110 fut dévoilée le 15 septembre 1991, à Versailles et devant la Grande Arche de la Défense, près de Paris, exactement 110 ans après la naissance d’Ettore Bugatti, devant un pare-terre de personnalités, dont le parrain était l’acteur Alain Delon.
Moteur, orfèvrerie
La Bugatti EB110 est propulsé par un moteur V12 de 3499 cm3 (81 mm × 56,6 mm) alimenté par 12 corps de papillon individuels, double arbres à cames en tête par rangée de cylindres qui activent 60 soupapes (3 d’admission et 2 d’échappement), quatre turbocompresseurs IHI ! Le taux de compression affiche 7,8:1, offrant un rendement élevé avec 1,05/1,15 bar de pression de suralimentation maximum. Le bloc est en aluminium, la lubrification s’effectue par carter sec. Il offre 560 ch (à 8000 tr/min) et 611 Nm (à 3750 tr/min). La boite manuelle à six vitesses est intégrée au carter moteur. Elle est commandée par un embrayage monodisque à sec, avec servomécanisme hydraulique. La transmission est intégrale mais réglée “propulsion” avec 27% de la puissance est envoyée aux roues avant et 73% aux roues arrière.
Châssis, aéronautique
Comme pour l’ingénierie du groupe motopropulseur, à la pointe de la technologie du moment, les ingénieurs appliquèrent au châssis un développement digne de l’esprit Bugatti. Les suspensions utilisent des techniques issues de l’aéronautique. C’est Messier-Bugatti, spécialiste dans les trains d’atterrissage d’avion (Concorde et Rafale version Marine, notamment) qui les développe. Pour autant, celle-ci adoptent un schéma classique après l’abandon de suspensions entièrement hydrauliques, trop complexes et trop coûteuses. La structure entièrement en matériaux composites est élaborée par Aérospatiale. Ce choix a été retenu pour sa légèreté et sa résistance à la torsion, bien meilleure, par rapport au châssis en alu à structure nid d’abeille utilisé pour les premiers prototypes. Le freinage est confié à Carbone Industrie qui équipe les Formule 1 de freins en carbone. Mais au final, c’est Brembo qui fournit des disques ventilés en fonte, de forts diamètres. Les jantes en magnésium sont signées BBS (technologie reprise par Toyota sur la Prius 2 !) et chaussées de pneus MXX3 spécifiques développé par Michelin.
Retrouvez ci-dessous la vidéo de Davide Cironi, traduite en français par Philippe Campana, sur l’EB110 :
Résultat : 1620 kg sur la balance, avec une répartition des masses de 40% à l’avant et 60% à l’arrière. Le 0 à 100 km/h est annoncé sous les 3,5 sec, le 0 à 200 km/h en moins de 12 sec et le kilomètre départ arrêté sous les 21 secondes, la VMax à 336 km/h (voir les relevés de la Bugatti EB110 ici). Respectivement, les Ferrari F50 (520 ch) et McLaren F1 (627 ch) sont créditées des performances suivantes : 4 sec/12 sec/21,7 sec/319 km/h et 3,2 sec/9,5 sec/19,5 sec/356 km/h (voir les relevés ici pour la F50 et là pour la F1).
Retrouvez ci-dessous la vidéo de Davide Cironi, traduite en français par Philippe Campana, sur l’essai de l’EB110 :
Évolutions
En 1992, une variante plus légère (-200 kg) soit 1,42T et plus puissante avec 611 ch (à 8250 tr/min) et 647 Nm (à 4200 tr/min), 1,2 bar de pression de turbo, baptisée EB110S pour “Supersport”, a été introduite. La Supersport annonçait une VMax de 349 km/h et le 0 à 100 km/h en 3,2 sec (voir les relevés de l’EB110S ici). C’est une authentique voiture de course homologuée pour la route. A l’intérieur les boiseries ont été remplacé par du carbone et de l’alu bouchonné. Les sièges deviennent baquets. Le prix de vente est supérieur à 3 000 000 de FF (soit 678 000 €uro de 2018, inflation comprise) avec l’objectif d’un engagement en compétition à titre privé pour les acquéreurs.
Au début de 1994, Michael Schumacher, pilote de Formule 1, acheta une EB110 Supersport jaune, offrant à Bugatti une belle publicité, voiture qui’il conserva jusqu’en 2003.
L’EB110 a participé aux 24 heures du Mans en 1994. La voiture s’est qualifiée pour une 17ème place au général et une 5ème place dans la catégorie GT1, mais n’a pas terminé la course. La voiture est maintenant exposée au musée de l’automobile de Lohéac. Derek Hill , fils du champion américain de Formule 1 Phil Hill, était l’un des trois pilotes d’une équipe qui a concouru avec une EB110 aux États-Unis, en IMSA, aux 24 Heures de Daytona en 1996.
Retrouvez ci-dessous la vidéo de Davide Cironi, traduite en français par Philippe Campana, sur les EB110 LM et IMSA
La société Dauer Racing GmbH de Nuremberg, en Allemagne, racheta les exemplaires des EB110 semi-finies, dans l’usine de montage de Campogalliano, les stocks de pièces, le catalogue complet de pièces de rechange avec des diagrammes éclatés et des références.
Le dernier châssis restant et une version du moteur ont ensuite été développés par B Engineering pour leur voiture de sport Edonis.
Depuis la faillite de Dauer en 2008, toutes les pièces d’origine Bugatti, en particulier les pièces hautes performances de l’EB110 Supersport, ont été achetées en 2011 par la société Toscana-Motors GmbH (Kaiserslautern, Allemagne).
139 exemplaires de l’EB110 auraient été produits d’après Bugatti : 5 prototypes (liste des châssis prototypes ici), 8 pré-séries, 95 ex. de l’EB110 (dont 84 au 1er novembre 2018 dans le registre ici), 31 ex. de l’EB110 Supersport (dont 5 prototypes Supersport).
Crédit photos @ Wheelsage
Crédit vidéos @ Davide Cironi/Traduction français Philippe Campana
Jean-Michel,
Merci de ces remarques, nous corrigeons.
Chouette article, deux bémols cependant : la Supersports s’appelle seulement “S”, et elle est plus puissante de 62 ch (550->612). Plus puissante de 611ch ça ferait vraiment un monstre !
Et il est également sympa de noter qu’elle a détenu la première place du classement Sport auto de la voiture de série la plus rapide du monde avec 351 km/h mesurés pendant plus de 20ans ! Après, ils n’ont pas mesuré toutes les voitures sorties mais bon, cocorico quand même !