Pour des générations de lecteurs, le nom de Vaillant évoque immédiatement le pilote intrépide, le héros au grand cœur : Michel Vaillant. Son nom est synonyme de victoire, de droiture et d’exploits sur les circuits du monde entier. Mais avant le héros, il y avait le père, Henri Vaillant. Fondateur de l’empire automobile et patriarche de la famille, son histoire, longtemps restée en arrière-plan, est bien plus complexe et nuancée qu’on ne l’imaginait. « Henri Vaillant, une vie de défis » – 168 pages regroupant les trois tomes Passion, Famille, Victoires – vient lever le voile sur les origines de cette saga légendaire en se concentrant sur son créateur, en cinq facettes les plus inattendues.
Le moteur de son caractère : un homme d’obsessions
Le tempérament d’Henri Vaillant est la clé pour comprendre son parcours. Trois traits principaux, souvent contradictoires, définissent cet homme hors du commun.
- Têtu et déterminé : Son entêtement, lié à ses origines bretonnes, est le carburant de son ambition. C’est cette force de caractère qui le pousse, à seulement 16 ans, à quitter le cocon familial pour rejoindre les prestigieuses usines Bugatti en Alsace et poursuivre son rêve.
- Passionné jusqu’à l’obsession : La création automobile et le pilotage ne sont pas de simples métiers pour Henri Vaillant, mais une véritable obsession qui domine toute son existence. Le récit de sa vie est sans équivoque, son obsession de piloter et de créer sa voiture prend le pas sur sa vie amoureuse et celle de père de famille.
- Complexe et paradoxal : Henri Vaillant est un personnage pétri de contradictions. Il peut se montrer dur et égocentrique, détaché de ses proches et uniquement concentré sur ses objectifs. Pourtant, derrière cette façade se cache un homme décrit comme « aussi bougon qu’attachant », capable de susciter l’admiration malgré son caractère difficile.
Ces traits de caractère, à la fois forces et faiblesses, ont été le moteur de son ascension professionnelle.
La quête d’une vie : de l’Ingénieur au Constructeur
Le parcours d’Henri Vaillant est une véritable épopée industrielle et sportive, marquée par des étapes clés qui ont bâti sa légende.
- Débuts chez Bugatti : Arrivé en Alsace, il s’impose rapidement comme un ingénieur doué et reconnu par les Bugatti père et fils. Cependant, il y connaît sa première grande frustration lorsque son patron lui refuse l’opportunité de devenir pilote après une « prestation désastreuse ». Cet échec ne fait que renforcer son désir de créer sa propre voie.
- Naissance d’une marque : Après la Seconde Guerre mondiale, où il s’illustre comme un « résistant héroïque », Henri Vaillant lance enfin sa propre marque Vaillante. Sa première voiture, baptisée « La Foudre », fait immédiatement sensation lors de sa présentation au salon de l’auto.
- Épreuve du feu : Pour un constructeur débutant, la réputation est tout. Henri Vaillant sait que pour que les ventes décollent, il lui faut des exploits sportifs. Des courses mythiques comme les Mille Miglia en Italie ou les 24 Heures du Mans deviennent des objectifs cruciaux pour asseoir le prestige et la fiabilité de ses voitures.
- Affirmation d’une saga : Le Rallye de Monte-Carlo de 1957 constitue le tournant décisif. Dans un geste d’audace totale, il engage deux voitures. Il pilote la première avec son fils aîné, Jean-Pierre, comme copilote, tandis que la seconde est confiée à son fils cadet, Michel. C’est à cet instant précis, en mêlant son ambition à celle de ses enfants, qu’il écrit « les premières lettres de la grande saga Vaillante ».
Si sa vie professionnelle est une succession de défis relevés avec brio, ce triomphe se construit au prix de relations personnelles et familiales de plus en plus fracturées.
Le prix de la passion : des relations familiales compliquées
L’obsession d’Henri Vaillant pour la course automobile crée des tensions profondes au sein de sa famille, où sa passion se transmet comme une fatalité.
- Relation avec son épouse, Elisabeth: Cette relation est marquée par une trahison fondamentale. Henri Vaillant brise le « pacte » qu’il avait passé avec Elisabeth de ne plus s’impliquer dans la course et d’en tenir leurs fils éloignés. Sa décision de préparer en secret deux voitures pour le Rallye de Monte-Carlo « contre l’avis de sa femme » est la violation ultime de cette promesse. Face à ce parjure, Elisabeth décide de le quitter.
- Relation avec ses fils, Jean-Pierre et Michel: Ses fils sont inévitablement « contaminés par la même envie : piloter ». Henri Vaillant attise cette flamme au lieu de l’éteindre. Il confie d’abord un volant à Jean-Pierre, le « sage », pour les 24 Heures du Mans, au grand dam de sa femme. Puis, il orchestre le moment de rupture final en engageant ses deux fils au Rallye de Monte-Carlo, poussant Michel, la « tête brulée », à assouvir son désir de course et scellant ainsi la désintégration de sa famille.
Le conflit entre sa passion et ses devoirs de père et de mari est la tragédie centrale de sa vie.
Vaillant père : héritage d’un homme flamboyant
Henri Vaillant incarne le paradoxe de l’homme de génie. Son entêtement et son ambition obsessionnelle ont été les instruments de son incroyable succès, lui permettant de bâtir un empire industriel et de donner naissance à une légende du sport automobile. Cependant, ces mêmes qualités sont aussi à l’origine de ses plus grands échecs personnels, creusant des fissures profondes au sein de sa famille… comme un certain Enzo Ferrari (lire notre article ici).
Pour le nouveau lecteur, il apparaît comme une figure aussi flamboyante que complexe, un créateur dont l’héritage est autant fait de victoires éclatantes que de sacrifices douloureux, le triomphe fondateur de sa saga étant indissociable du drame qui a brisé son foyer. Cette relecture des origines de la saga Vaillant est bien plus qu’un simple retour en arrière. En explorant les zones d’ombre, les défauts et les sacrifices de son fondateur, elle enrichit profondément tout l’univers. Henri Vaillant n’est plus seulement le patriarche bienveillant, mais un homme complexe, faillible et terriblement humain.
En découvrant le père sous un nouveau jour, notre regard sur le héros, Michel Vaillant (lire ici), ne change-t-il pas lui aussi ?
Porte d’entrée parfaite, même pour les non-initiés
Bien que ce préquel « Henri Vaillant, une vie de défis » regorge de développements qui raviront les connaisseurs de la saga, sa plus grande force réside peut-être dans son accessibilité. Conçue comme une histoire autonome, la série ne requiert aucune connaissance préalable de l’univers Vaillant pour être pleinement appréciée. C’est un point d’entrée idéal pour un nouveau public, une histoire originelle plus que réussie pour son écriture captivante issue de la plume de Marc Bourgne, offrant une profondeur et une complexité psychologique singulières dans cet univers pourtant familier, assurant une expérience de lecture riche.
Elle s’impose comme une œuvre à part entière, capable de séduire un lectorat bien au-delà du cercle des initiés grâce à une histoire divertissante et très bien réalisée. Le traitement graphique de ce préquel est un choix artistique fort qui agit comme un véritable outil narratif. L’album « Henri Vaillant, une vie de défis » – limité à 700 exemplaires en édition originale – est réalisé en lavis de gris, prenant des nuances colorées pastel puis affirmées sur la fin, illustré par Claudio Stassi. Une technique qui confère au récit une atmosphère rétro et une élégance sobre. Ce choix n’est pas anodin : il opère une distinction visuelle nette avec le style en ligne claire et les couleurs vives des aventures classiques de Michel Vaillant. Cette esthétique aussi élégante que précise signale un changement de ton, délaissant l’exploit héroïque pour une chronique historique plus « adulte » et un drame familial plus sombre. Elle renforce le côté historique de la marque Vaillante et crédibilise le scénario en plongeant le lecteur dans une époque révolue.
Sources et crédits photos @Graton éditeur/Éditions Dupuis
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