Interview de Laurent Negroni, designer Alpine et Renault
Actualité Alpine Concept Renault

Interview de Laurent Negroni, designer Alpine et Renault

Laurent Negroni
Laurent Negroni

C’est une nouvelle génération de designers que Renault met en avant, depuis l’arrivée de Laurens van den Acker à la tête du style du losange. Par habitude, à chaque nouveau concept ou véhicule de série, nous privilégions d’en savoir plus auprès des designers chargés du style extérieur. Cependant, le design intérieur est clairement ce dont on profite le plus au volant, contrairement à l’extérieur. Nous avons donc interviewé l’un des artisans du style intérieur, Laurent Negroni, en charge d’Alpine et de Renault.

Laurent Negroni
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AutomotivPress : Quel est ton premier souvenir automobile ?
Laurent Negroni : Mon premier souvenir auto c’est la GS de mon grand père et sa suspension hydraulique. C’était magique avec les Citroën de cette époque, j’avais l’impression d’être dans un vaisseau de Jules Vernes.

AP : Quel a été ton parcours scolaire puis professionnel ?
LN : J’ai eu une scolarité compliquée car j’étais sans arrêt entrain de dessiner, après un bac techno arraché au rattrapage j’ai fait une année de prépa artistique à Paris et ça a changé ma vie ! Je suis passé d’un cursus où je passais le plus clair de mon temps à m’ennuyer avec des professeurs “inquiet pour moi” à un univers où chaque matière éveillait ma curiosité… Durant cette année j’ai passé beaucoup de temps à découvrir l’histoire de l’art et faire progresser ma technique de dessin avec la possibilité de voir des expositions et d’échanger sur des sujets comme l’architecture, le design, les arts graphiques, le but était d’ouvrir l’éventail des possibilités. J’ai passé le concours des arts-déco de Paris et celui des Gobelins que j’ai intégré car je me destinais à l’industrie du cinéma. L’idée de raconter des histoires, emmener les gens dans des voyages me plaisait.
En même temps j’ai toujours été très intéressé par l’architecture, la notion de mouvement et le déplacement, enfant je passais des heures à dessiner des locomotives, des avions, des voitures. J’ai donc poursuivi mes études en design industriel avec un master en design transport à Strate [école de design à Sèvres 92]. Cela m’est immédiatement apparu comme la synthèse parfaite des mes passions.
J’ai enchainé les stages, Citroën puis Volkswagen au studio de design avancé à Potsdam, enfin je suis retourné chez Citroën pour mon sujet de diplôme. A cette période il n’y avait pas de possibilité d’embauche pour moi chez PSA, mais un designer là-bas a appelé Fabio Filippini, qui était à l’époque directeur du style intérieur Renault, pour lui proposer de me rencontrer. Mon portfolio a fait le tour chez Renault et Fabio, Thierry Metroz [aujourd’hui chez DS], Eric Diemert et Antony Villain m’ont fait une offre d’embauche fin 2007.

AP : Comment en es tu venu au design industriel et automobile ?
LN : Après les Gobelins je me suis renseigné sur les formations et les écoles reconnues en design automobile. Quelques mails et coups de téléphone, je suis passé à Strate pour expliquer ma démarche et voir l’école. C’était en semaine et heureuse coïncidence il y avait ce jour là un cours de Michel Armand, designer chez Citroën, sculpteur et historien en design… J’ai assisté à son cours et je me souviens m’être dit : “il faut absolument que tu tentes ta chance ici”.

AP : Pourquoi avoir quitté l’animation cinématographique ?
LN : Je sentais un attrait plus fort à créer un objet qui ne resterait pas virtuel ou en 2D et aurait une présence physique, quelque chose que les gens puissent utiliser et qui puisse changer leur quotidien.

AP : Quels sont les domaines qui t’inspirent ? (architecture, aviation, cinéma, mobilier, peinture, photographie, sculpture, etc… ?)
LN : L’aviation militaire et civile, j’ai découvert récemment qu’il y avait un terme pour ça, les “avgeek” ça m’a fait sourire car dès qu’un avion passe je ne peux m’empêcher de lever la tête. Comme pour les voitures j’ai un faible pour les “liners” des années 60 à 80. L’architecture, le cinéma, les arts graphiques… plus qu’un domaine spécifique ce sont les objets avec une belle histoire qui généralement me touche, c’est très varié et ça tombe bien car le métier de designer invite à être curieux au quotidien.

Laurent Negroni
Laurent Negroni

AP : Quels sont le projets sur lesquels tu as travaillé depuis ton arrivée chez Renault en 2008 ?
LN : Espace 5, j’ai travaillé sur le “key sketch” c’est à dire le croquis de départ du projet, puis j’ai participé à l’intérieur de Twingo 3, ensuite l’aventure Alpine a commencé avec l’Alpine Gran-Turismo, l’Alpine Vision, le modèle de série et enfin le concept-car de Paris 2016 Trezor.

Laurent Negroni
Laurent Negroni – Renault TreZor
Laurent Negroni
Laurent Negroni – Renault TreZor
Laurent Negroni
Laurent Negroni – Renault TreZor
Laurent Negroni
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Renault TreZor Concept
Renault TreZor Concept
Renault TreZor Concept
Renault TreZor Concept

AP : Comment as tu été choisi pour les derniers projets (Twingo III, Alpine & TreZor) ?
LN : Nous avons la plupart du temps des concours, c’est un peu comme une compétition sportive, chacun a sa stratégie, sa vision et il faut défendre ses idées, à chaque étape de présentation il y a une sélection et on affine nos propositions jusqu’au choix final le “go with one” où le thème retenu sera développé jusqu’en production.

Laurent Negroni
Laurent Negroni – Twingo 3

AP : Pour l’instant tu signes des intérieurs, comment te viens l’inspiration pour dessiner un intérieur ? A quand les extérieurs ?
LN : L’inter(ieur) et l’exter(ieur) ont des approches très différentes, l’exter’ c’est travailler une sculpture, gérer une attitude, des masses et des lumières.
L’inter’ c’est l’assemblage d’une multitude de détails très liés aux matériaux qui dès qu’on ouvre la porte communique sur un univers.
J’ai beaucoup de plaisir à dessiner de façon très précise, j’ai un coté “watch maker” à gérer la complexité et qui s’applique beaucoup plus à l’inter. Durant la phase de création je suis hétéroclite sur les inspirations, on peut passer des jours à sourcer : images, données techniques alors que parfois en 20 minutes on trouve un axe intéressant à faire murir.

Laurent Negroni
Laurent Negroni

AP : Quelles sont les designers qui t’ont marqué ?
LN : Jacod Jensen, Dieter Rams, Raymond Loewy, Virgil Exner Jr, Giorgetto Giugiaro, Giuseppe Bertone, Paolo Martin, Aldo Brovarone, Sergio Sartorelli, “Larry” Shinoda, Marcello Gandini, Ettore Bugatti, Louis Vuitton, Chris Bangle…

AP : Quelles sont les automobiles qui t’ont marqué ?
LN : Tellement… dans le désordre absolu…
– La Bugatti Type35 quand bien menée on y voit le conducteur se pencher dans les virages et même entretenir une dérive.
– La Voisin C28 Aérosport de 1935 a une pureté unique.
– Il y a quelque chose de magique à voir rouler la Maseratti Ghibli, la Lamborghini Miura, dernièrement j’ai recroisé une Bizzarrini 5300 quelle allure !
– J’adore les De Tomaso Mangusta et à chaque départ de compétition historique, le démarrage des Pantera Gr4, Ford GT40, et AC Cobra est saisissant. Elles grognent et prennent vie.
– Les Porsches avec la 928 et son dessin qui n’a pas pris une ride et les turbos, surtout la 930… pour la “brutalité”, c’est pas vraiment original de citer une Porsche mais pour avoir essayé la 991 Turbo S, j’avais l’impression d’être dans une catapulte, d’ailleurs ça me fait penser à la Tesla Model S qui m’a procuré un feeling identique.
– Les Alfa Romeo Coupé Bertone pour leur élégance, finesse et équilibre… les Lancia Fulvia Zagato ainsi que le Coupe HF.
– J’ai beaucoup “d’affection” pour les Lotus se sont des autos attachantes et très sympa à conduire. L’Elan probablement parce que je l’ai associé à Emma Peel, l’Elite type 14 est magnifique et rien ne vaut le touché de roue d’une Elise S1 MMC de ’96 !
– J’ai toujours regardé la Citroën SM, elle m’évoque quelque chose de similaire au Concorde, complexe, taillé pour la vitesse et très emblématique d’une époque.
– Chez Ferrari, il y a la Tour de France de 1956, la F40 et plus récemment la 458 Italia et la FF.
– Les japonnais avec la Datsun 240Z, la Toyota 2000gt et la Honda S2000 et ses 9000trs/min, Mazda a fait une légende de la MX-5 et on retrouve beaucoup de l’Elan dans la version NA.
– Chez BMW, la 507 et les modèles des années 70, la 3.0 CSL, la M1 et la 1M Coupé (E82).
– La Jaguar E-Type Lightweight , la Rolls Royce Wraith…
– Chez Alpine les A220 et A310.
Sinon je garde un très bon souvenir de la Fiat Ritmo Abarth rouge de mon père… il faut que ça reste un souvenir…

Laurent Negroni
Laurent Negroni

AP : Sur quel genre de véhicule que tu n’a pas encore abordé voudrais tu travailler ?
LN : L’électrique avec la possibilité de revisiter totalement l’architecture intérieure.

AP : Quel est ton premier souvenir aéronautique ?
LN : Au sol, le passage du Concorde au-dessus de ma maison car j’habitais sous les axes de l’aéroport Charles de Gaulle.
Enfant, en l’air lors d’un voyage vers la Corse de mémoire, dans un Airbus A300B2 d’Air Inter, je lisais “Martine prend l’avion” et j’étais resté scotché sur la double page de la Caravelle au-dessus des nuages. L’hôtesse a proposé à ma mère de m’emmener faire un tour en cockpit… ce jour là, j’ai senti que je resterai passionné par l’univers aéronautique.

Laurent Negroni
Laurent Negroni aux commandes d’un avion de tourisme type Cessna

AP : Pourquoi avoir publié “Speedbirds” (tome 1 & 2) ?
LN : Au départ c’est un blog avec pour seul but d’échanger sur des machines peu connues ou pour lesquels il n’existe que très peu de documents. Très vite j’ai rencontré Romain Hugault, le dessinateur de BD qui est devenu un ami proche et m’a proposé de rencontrer son éditeur. Au même moment je débutais chez Renault et j’ai découvert que mes collègues s’intéressaient au sujet et avaient imaginé ce que pourrait être une course d’hydravion contemporaine.
Tous ça a fusionné et est devenu Speedbirds Tome 1 format horizontal dit “à l’italienne” [édition épuisée, disponible au format vertical dit “à la française” Tome 1.1].

Laurent Negroni
Laurent Negroni

AP : Quels points communs mets tu en valeurs entre aviation et automobile ?
LN : Ce sont deux histoires industrielles jeunes, l’aviation a influencé l’automobile dans les codes stylistiques extérieurs. Il n’y a qu’à regarder les américaines des années 50 et 60. Réciproquement, on a ramené certains usages et éléments issue de l’automobile (comme le confort au sens large) dans l’aviation et les avancés technologiques bénéficient aux deux.

AP : Aimerais tu devenir designer aéronautique ?
LN : Oui si un jour il y avait autant de liberté d’expression que dans l’automobile. Mais pour l’instant l’automobile permet d’aller plus loin et de réaliser plus de choses.

AP : Quelles sont les avions, les époques de l’aviation (et leurs pilotes) qui t’ont marqué ?
LN : Les “WarBirds” de la seconde guerre mondiale 39-45 et les hydravions de courses de la Coupe Schneider. Les avions de course, “Les Racers” de la Coupe Deutsch de la Meurthe, Bendix, les liners des années 60/70/80.

Laurent Negroni
Laurent Negroni
Laurent Negroni
Laurent Negroni – Speedbirds Coupe Schneider

AP : Quand on s’intéresse à TreZor, la voiture autonome de demain est déjà là. L’habitacle de TreZor est donc dédié aux passagers et aux voyages sans les contraintes de la conduite. Peux tu nous en dire plus , expliquer cela ?
LN : Ah, oui… l’autonome… joker 😉

AP : Puisque l’on parle de voyages, quels autres véhicules aimerais tu dessiner (train, fusée, bateau, etc…) ?
LN : Une belle locomotive, un Autorail Bugatti…

Laurent Negroni
Laurent Negroni

AP : Avoir une Lotus Elise S1 Sport 160 ce n’est pas anodin. Ce n’est pas spécialement un auto facile à mener. Qu’est ce qu’elle t’apporte ?
LN : Lots Of Trouble, Usually Serious… l’Elise S1 est une voiture attachante et fantastique à conduire, plus proche du kart que d’une voiture. J’aime beaucoup le feeling et la façon dont elle remonte sans filtres les informations au conducteur. La Sport 160 [770 kg pour 160 cv] a ce coté plus exclusif et un caractère très particulier. Honnêtement c’est un modèle réglé d’origine, comme une “patate”, avec ses arbres à cames plus agressifs (et souvent mal calés), sa tendance à mal démarrer à froid, son ralenti instable à 1300 trs/min, son moteur creux sous 4000 trs/min qui transforme les déplacements en ville en séance de rodéo, mais… une fois atteint les petites routes dégagées et passé les 5000 trs/min, l’expérience prend une autre tournure et on a l’espace d’un instant l’impression d’être dans une petite voiture de course. Pas besoin d’aller vite pour ça et c’est parfait, car l’Elise avec sa position de conduite procure très rapidement des sensations et j’ai l’impression de m’imprégner des endroits que je traverse.
C’est une auto que je compte garder le plus longtemps possible.

Lotus Elise Sport 160 - Laurent Negroni
Lotus Elise Sport 160 – Laurent Negroni

AP : Quelle est ta meilleur expérience en tant que designer ?
LN : J’en profite pour revenir sur la renaissance d’Alpine, car il est rare dans une carrière de designer automobile, d’avoir la chance de participer à une tel aventure. Je crois qu’il est difficile d’imaginer l’énergie nécessaire pour concevoir, convaincre, communiquer, vendre pour redonner vie à une marque qui à l’aura historique d’Alpine. J’ai passé trois années à travailler avec des passionnés, d’une manière assez incroyable, nous étions comme un laboratoire secret, affranchi d’une certaine inertie de décision car en petit nombre, un peu à l’abri des regards, à expérimenter des solutions techniques et stylistiques afin de trouver la meilleur formule avec les éléments fournis. Il n’y a pas un seul membre de l’équipe qui n’avait pas la flamme en lui, et je suis convaincu qu’il n’y aurait aucune Alpine a sortir si chacun n’avait pas donné le maximum… pas pour l’appât du gain, car rien n’est jamais certain en projet automobile, mais plutôt par générosité et désire de ne pas gâcher cette fantastique occasion. Terminer sur cette note c’est une façon de remercier cette Dream Team.
Maintenant j’ai hâte d’en voir sur les routes, avec des conducteurs heureux et fier !

Alpine Vision Concept
Alpine Vision Concept – Laurent Negroni
Alpine Vision Concept
Alpine Vision Concept – Laurent Negroni
Alpine Vision Concept
Alpine Vision Concept – Laurent Negroni
Alpine Vision Concept
Alpine Vision Concept – Laurent Negroni
Laurent Negroni
Laurent Negroni – Alpine Vision Concept
Alpine Vision Concept
Alpine Vision Concept
Alpine Vision Concept
Alpine Vision Concept

Credit photos @ Alpine, Renault, Laurent Negroni, Les Éditions Paquet/Collection Cockpit

A propos de l'auteur

Yvan

3 commentaires

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  • Superbe, merci pour cette interview, à Yvan, à AutomotivPress et à Laurent Negroni.

    J’aime aussi beaucoup l’hommage discret au losange dans le sublime intérieur de l’Alpine Vision… On ne peut pas dire que ce losange soit de taille modeste, et pourtant quelle merveilleuse discrétion ! 😉

    Bravo !

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