La saga Porsche Carrera GT : D’un échec en Formule 1 à une icône de l’automobile
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La saga Porsche Carrera GT : D’un échec en Formule 1 à une icône de l’automobile

Porsche Carrera GT - Raphcars
Porsche Carrera GT - Raphcars

Ce qui n’est pas encore l’histoire de la Porsche Carrera GT débute paradoxalement sur les circuits de Formule 1 au début des années 1990. Forte de son passé glorieux avec le moteur TAG-Porsche V6 turbo champion du monde, la marque de Stuttgart tente un retour en 1991 dans la nouvelle ère des blocs atmosphériques 3,5 litres. Associée pour 4 ans à l’écurie Arrows, alors rebaptisée Footwork, Porsche met au point un V12 sous la direction de Hans Mezger. L’ingénieur déjà auteur du 12 cylindres de la 917, lui greffe la même bizarrerie : un arbre de sortie central.

Dans l’arène de l’innovation, les légendes se forgent plus souvent dans les décombres d’un échec que dans la lumière d’un succès immédiat. Leur histoire est celle de projets avortés et de réorientations stratégiques audacieuses, où la persévérance et la capacité à capitaliser sur des revers apparents deviennent les véritables moteurs du progrès. Le moteur V10 qui anime la mythique Porsche Carrera GT est l’exemple parfait de cette résilience. Son parcours tortueux, depuis les coulisses d’un projet désastreux en Formule 1 jusqu’à son statut d’icône automobile, illustre comment un échec peut semer les graines d’une légende. Illustration en trois actes de cette transformation : le fiasco initial qui a donné naissance à une idée, l’ambition contrariée qui l’a fait mûrir, et la consécration inattendue qui l’a immortalisée.

Premier acte : Le fiasco du retour en Formule 1

Le moteur V12 Porsche, conçu sous la direction du légendaire Hans Mezger (lire ici), s’est révélé être un échec technique retentissant. Sa conception, constituée de deux moteurs V6 boulonnés, intégrait une bizarrerie technique héritée de la glorieuse Porsche 917 (lire ici) : un arbre de sortie central. Cet exemple illustre comment un concept éprouvé peut échouer dans un nouveau contexte. En partenariat avec l’écurie Footwork Arrows, ce programme a rapidement cumulé les handicaps :

  • Poids excessif : Avec 190 kg sur la balance, le « Type 3512 » pesait 40 à 50 kg de plus que ses concurrents directs, un désavantage rédhibitoire en F1.
  • Encombrement : Sa taille a forcé les ingénieurs d’Arrows à redessiner entièrement le châssis de leur monoplace, la Footwork FA12, causant des retards critiques. Le projet était si dysfonctionnel que l’équipe a dû utiliser le châssis de la saison précédente A11C pour les deux premières courses de 1991.
  • Manque de fiabilité et de puissance : Le moteur, qui ne développait que 680 chevaux, souffrait d’une fiabilité catastrophique. Son palmarès en six Grands Prix aux mains de pilotes comme Michele Alboreto et Alex Caffi, bientôt remplacé par Stefan Johansson, le palmarès du V12 se résume à sept non-qualifications et cinq départs pour cinq abandons.

L’impact de cet échec sur Porsche fut immédiat et humiliant. Footwork Arrows mit fin prématurément au partenariat pour revenir à un moteur Ford Cosworth DFR plus fiable. Pour Porsche, l’ensemble du programme n’était plus qu’un embarras qui ternissait sa réputation d’excellence.

Footwork FA12 - Retromobile 2019
Footwork FA12 – Retromobile 2019

Cependant, la conséquence la plus cruciale de cette débâcle s’est jouée en coulisses. Bien avant l’arrêt officiel du projet V12, les ingénieurs de Weissach avaient identifié ses lacunes et commencé à concevoir un moteur correctif : un V10, plus compact et plus moderne à l’image du glorieux V10 Renault F1 titré 6 fois champion du monde pilotes et constructeurs (lire ici). Avec la fin brutale de l’aventure en F1, ce projet fut rangé dans les tiroirs, devenant un atout technologique dormant.

L’échec cuisant en Formule 1 avait forcé la création d’un actif technologique inattendu. Mis au rebut, ce V10 n’attendait qu’un nouveau champ de bataille stratégique pour prouver sa valeur.

Footwork FA12 - Retromobile 2019
Footwork FA12 – Retromobile 2019

Deuxième acte : Le prototype LMP2000, l’aïeule secrète

Pourtant, ce V12 mal né est à l’origine du V10 qui deviendra celui de la Carrera GT. Mis en sommeil en 1991, il ressurgit finalement à la toute fin des années 1990. Les équipes de Porsche Motorsport à Weissach travaillent alors au développement de la LMP 2000 « Type 9R3 », un prototype destiné aux 24 Heures du Mans 2000. Conçue par Norbert Singer, cette barquette devait succéder à la 911 GT1/98 et affronter directement les géants de l’endurance dans la catégorie LMP900.

Porsche 9R3 LMP 2000 - copyright Porsche
Porsche 9R3 LMP 2000 – copyright Porsche

À la fin des années 1990, le contexte stratégique de Porsche a changé. Après la victoire de sa 911 GT1/98 (lire ici), l’objectif est désormais de réaffirmer sa suprématie en endurance en développant un prototype capable de dominer la catégorie reine des 24 Heures du Mans. Ce projet, baptisé en interne « Type 9R3 », allait devenir le théâtre de la résurrection inattendue du moteur V10.

Le développement de ce prototype a d’abord été envisagé autour du moteur flat-six bi-turbo de la GT1. Cependant, cette option fut rapidement abandonnée, le bloc étant jugé trop lourd (230 kg) et sous-alimenté pour rivaliser avec la nouvelle génération de concurrents.

Face à cette impasse, les ingénieurs de Porsche ont pris une décision stratégique : réactiver le projet V10 mort-né de la Formule 1. Ils ont « dépoussiéré » les plans et adapté le moteur aux contraintes de l’endurance. Sa cylindrée fut notamment augmentée à 5,5 litres et ses composants les plus extrêmes, inadaptés à une course de 24 heures, furent retirés pour privilégier la fiabilité. Le cœur du prototype 9R3 était né.

Porsche 9R3 LMP 2000 - copyright Porsche
Porsche 9R3 LMP 2000 – copyright Porsche

Porsche 9R3 LMP 2000

Le potentiel de cette nouvelle machine était prometteur. Des essais menés à Weissach en 1999 par les pilotes d’usine Allan McNish et Bob Wollek se sont révélés très positifs. Pourtant, en pleine phase de développement, le projet fut brutalement annulé. Les raisons de cette décision sont doubles :

  • Priorité stratégique interne : La direction de Porsche, sous l’impulsion de son PDG Wendelin Wiedeking, a décidé de réaffecter l’expertise et les ressources du département Motorsport vers le développement du SUV Cayenne. Ce projet était considéré comme vital pour assurer l’avenir financier de l’entreprise.
  • Concurrence au sein du groupe : La direction du groupe Volkswagen aurait souhaité éviter une confrontation directe entre la Porsche 9R3 et le nouveau prototype Audi R8, voiture-phare du groupe Volkswagen promise à la domination mancelle (lire ici).
Porsche 9R3 LMP 2000 - copyright Porsche
Porsche 9R3 LMP 2000 – copyright Porsche
Porsche 9R3 LMP 2000 - copyright Porsche
Porsche 9R3 LMP 2000 – copyright Porsche

Jamais rendu public pendant plus de 15 ans, ce prototype ne sera dévoilé au public qu’en 2018, au Festival of Speed de Goodwood, avant d’être restauré et réellement assumé en 2024, à grands coups de communication. Du projet 9R3, subsistera quand même quelque chose puisqu’il sera décidé de capitaliser sur les travaux effectués sur le V10 pour réaliser un concept de supercar : la Porsche Carrera GT Concept s’appellera d’ailleurs toujours 9R3 !

Le V10, une fois de plus mis en sommeil, n’était plus un simple projet avorté mais un actif technologique validé, attendant le pivot stratégique qui le propulserait de l’ombre à la lumière.

Porsche 9R3 LMP 2000 - copyright Porsche
Porsche 9R3 LMP 2000 – copyright Porsche
Porsche 9R3 LMP 2000
Porsche 9R3 LMP 2000

Troisième acte : La révélation d’une supercar mythique

Le 28 septembre 2000, première journée presse du Mondial de l’Automobile de Paris, Porsche convie la presse place de l’Etoile. Le lieu peut surprendre d’autant qu’aucun motif n’est annoncé, mais ce qui est encore moins banal, c’est l’horaire : rendez-vous est donné avant le lever du jour.

Porsche Carrera GT - Raphcars
Porsche Carrera GT – Raphcars

Plutôt que de considérer les millions investis dans le développement du V10 comme une perte sèche, Porsche a opéré une réallocation stratégique des ressources technologiques. La décision fut prise de ne pas laisser cette technologie de pointe se perdre et de la réorienter vers la création d’une supercar de route, transformant ainsi un projet de course avorté en l’une des voitures les plus désirables de l’histoire.

Dans l’obscurité totale et sous un fin crachin parisien, la presse médusée – à l’époque pas ou peu d’internet, et donc moins de fuites d’informations – Walter Röhrl, double champion du monde des rallyes et pilote de développement, est apparu au volant du Concept Carrera GT, portant encore le nom de code interne 9R3. Il a descendu les Champs-Élysées, offrant au monde un premier aperçu et, surtout, une première audition de son moteur. Animé par le V10 de 5,5 litres développant 558 chevaux, le concept a immédiatement enflammé l’imagination du public.

La transition du concept à la production en série a vu la voiture et son moteur atteindre leur pleine maturité.

Caractéristique Porsche Carrera GT Concept (2000) Porsche Carrera GT de série (Type 980)
Moteur V10 de 5,5 litres V10 de 5,7 litres
Puissance 558 ch 612 ch
Période Présenté en 2000 Produite de 2003 à 2006
Unités Prototype unique 1270 exemplaires
Porsche Carrera GT - Raphcars
Porsche Carrera GT – Raphcars
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Porsche Carrera GT – Raphcars
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Porsche Carrera GT – Raphcars
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Porsche Carrera GT – Raphcars

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Trois ans plus tard, la version de série est prête. Assemblée à Leipzig entre 2003 et 2006 à 1270 exemplaires, la Porsche Carrera GT « Type 980 » embarque un V10 poussé à 5,7 litres et 612 ch. Avec son châssis carbone, sa boîte manuelle, son embrayage céramique au centre de gravité extrêmement bas, une vitesse de pointe de 334 km/h et surtout l’absence totale d’aides électroniques, elle s’impose comme l’une des dernières supercars « analogiques » de l’histoire et n’est pas à mettre entre toutes les mains :

  • Châssis en carbone pour une rigidité et une légèreté extrême.
  • Boîte de vitesses manuelle, un choix radical à une époque où les boîtes automatisées devenaient la norme.
  • Absence totale d’aides électroniques, la rendant aussi gratifiante que difficile à maîtriser.
  • Un son moteur décrit comme « l’un des plus envoûtants jamais produits par une voiture de route », une signature acoustique directement héritée de la compétition.

Le V10, né d’un échec, affiné pour une course qui n’a jamais eu lieu, avait enfin trouvé sa vocation, propulsant une voiture de route au panthéon des légendes automobiles.

Porsche Carrera GT - Raphcars

Porsche Carrera GT - Raphcars

Porsche Carrera GT - Raphcars

Pour ma part, c’est très probablement le 30 septembre, en regardant l’émission Turbo sur la chaine de TV française M6, que je découvre ces images mythiques et je tombe immédiatement amoureux de cette voiture, coup de cœur confirmé en réel encore quelques jours plus tard.

Porsche Carrera GT - Raphcars
Porsche Carrera GT – Raphcars

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Héritage : Leçons d’une odyssée technologique

Le parcours extraordinaire du V10 Porsche, de l’humiliation en Formule 1 à la gloire sur la route, est une étude de cas exemplaire sur la manière dont l’innovation peut non seulement survivre à l’adversité, mais aussi en prospérer. Cette saga offre des leçons stratégiques puissantes sur la gestion de la technologie et la vision d’entreprise.

  • L’Échec comme Catalyseur : Le fiasco monumental du V12 en 1991 n’a pas été une fin en soi. Il a été le catalyseur qui a forcé Porsche à concevoir une architecture moteur supérieure. Cela démontre que pour une organisation d’ingénierie, un échec technique bien analysé est un investissement en R&D plus précieux qu’un succès modeste.
  • La Valeur d’un Actif Technologique Dormant : En choisissant de conserver les plans du V10, Porsche a assuré la conservation d’une option technologique de grande valeur. Sa réactivation pour le projet 9R3 près d’une décennie plus tard démontre qu’un projet mis en sommeil n’est pas un coût irrécupérable, mais une source d’agilité stratégique, attendant le bon contexte pour être déployé.
  • L’Innovation par la Réorientation : C’est la leçon la plus puissante : la capacité de Porsche à réorienter une technologie de course pure vers une application routière est un cas d’école en matière de capitalisation d’actifs. Cette réorientation a non seulement sauvé l’investissement, mais elle a aussi créé un produit final encore plus emblématique et rentable que les projets de course originaux.

La Porsche Carrera GT et son moteur V10 ne sont donc pas simplement un produit exceptionnel. Ils sont le symbole ultime de la persévérance technique et de la vision stratégique, dont la sonorité rageuse raconte une histoire d’échecs transformés en une légende immortelle.

Porsche Carrera GT - Raphcars
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Porsche Carrera GT - Raphcars

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Son hurlement dans les tours, considéré comme l’un des plus envoûtants jamais produits par une voiture de route, contribue à en faire une légende absolue. Aujourd’hui encore. Et 25 ans après sa révélation parisienne, L’Art de l’Automobile en collaboration avec Porsche lui a rendu hommage dans la ville où elle s’est révélée au monde, avec une exposition anniversaire.

Porsche Carrera GT - Raphcars
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Crédit photos @Raphcars

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