Rallye de Cote d’Ivoire Bandama 1985 : Les Audi de Michèle
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Rallye de Cote d’Ivoire Bandama 1985 : Les Audi de Michèle

1985 Audi Sport Quattro S1 E2
1985 Audi Sport Quattro S1 E2

La légende raconte que la course automobile est née avec la seconde automobile. On imagine volontiers la part de vérité dans cette phrase tant l’esprit de compétition est présent chez l’être humain, aussi peu à peu des limites ont étés mises en place pour devenir par la suite des règlements. Le même être humain depuis met une énergie incroyable pour essayer de contourner le dit-règlement, en exploiter les failles ou tout simplement le mettre entre parenthèses pour en tirer un substantiel avantage sur son concurrent direct. Les anecdotes sont croustillantes et nombreuses au fil de l’histoire de la compétition automobile, aujourd’hui nous avons décidé de revenir sur l’une d’entre elle, plutôt peu médiatisée et un peu tombée aux oubliettes… Replongeons-nous au cœur du rallye de Cote d’Ivoire 1985 au travers d’un article paru dans le magazine Sport Auto, n°287 de décembre 1985.

L’équipage Mouton-Hertz a-t-il changé de voiture pendant le Rallye de Côte d’Ivoire 1985 ? Voici une question qui a fait couler beaucoup d’encre en 1985, et qui – 30 ans plus tard – continue toujours d’ailleurs, comme en témoignent ces quelques minutes que vous allez passer à parcourir ce qui suit !

Mais où est la Quattro N°11 ?

Pour commencer, revenons un peu sur les évènements du rallye à l’origine de cette polémique, en plongeant directement dans la seconde étape du 17ième rallye de Côte d’Ivoire. Depuis plusieurs kilomètres, la voiture de Michèle Mouton connaît des problèmes de moteur. Elle s’arrête à un point d’assistance qui se situe après le CH21. Selon le témoignage des autres équipes également présentes à cet endroit dont Toyota et Nissan, le moteur de l’Audi libère une épaisse fumée blanche, symptôme classique de la rupture d’un joint de culasse. Les techniciens allemands rajoutent de l’eau et de l’huile dans le moteur. Mais ils n’entreprennent pas d’intervention mécanique et la voiture numéro 2 repart assez rapidement.

Crédit photo @ Christian Masséla

 

Pour Ove Andersson (boss de Toyota), le diagnostic est pourtant très clair. Cette panne moteur est si grave qu’elle ne paraît pas réparable. Selon lui, Michèle Mouton qui s’est jusqu’alors montrée menaçante pour les Toyota officielles, est donc sur le point d’abandonner. Il lance alors un appel à toute son équipe, dont son avion relais : «Surveillez de près la voiture de Michèle et prévenez-nous quand elle s’arrêtera». C’est à partir de ce moment-là que vont naître les premiers doutes.

Les témoignages sont en effet nombreux et formels (reconnus plus tard par Audi d’ailleurs) : au lieu de suivre le parcours du rallye, la Quattro disparait sur une piste perpendiculaire à celui-ci… Un peu plus tard, la Quattro réapparaîtra au CH22 où elle pointera avec 1 h 23 mn de pénalités, retard qui laisse penser à une intervention mécanique conséquente.
Étonnement et bonne surprise des observateurs : l’Audi fonctionne de nouveau à merveille sans la moindre trace de fumée ! Triste coïncidence par contre, l’autre Quattro, celle de Braun-Fischer portant le n°11, ne se présentera jamais à ce même contrôle horaire : abandon officiel d’une voiture d’assistance rapide pourtant précieuse pour porter secours aux voitures de tête.

Les «mauvais» esprits redoublent de curiosité au CH 27 pour la traversée du bac de Kokonou, cette pause imposée leur donnera le loisir de regarder de plus près l’Audi de Mouton-Hertz : la voiture numéro 2 porte le pare-brise de la numéro 11. Aucun doute à ce sujet puisqu’une vignette accolée à ce pare-brise – depuis le rallye de Nouvelle Zélande où cette voiture avait déjà été vue aux mains de Blomqvist – permet de le reconnaître de façon formelle… L’affaire commence alors à prendre une mauvaise tournure.

Roland Gumpert, le Team Manager Audi, habituellement affable s’engouffre dans le hall de l’hôtel à l’arrivée de la seconde étape. Il ne s’arrête pas, son seul commentaire sera «Big problems». Peu après arrive le copilote de la N°11, Fischer qui donnera quelques information sur l’origine de la panne de l’Audi de Mouton-Hertz : «Pompe à huile cassée ! Nous avons donc prélevé cette pièce sur notre propre voiture afin de la monter sur celle de Michèle». Mais s’il ne s’agissait que d’une pompe à huile, pourquoi ne pas en avoir remonté une neuve sur la n°11, si utile pour l’assistance rapide ? «Nous demandons déjà beaucoup à nos mécaniciens. Nous ne voulions pas les surcharger de travail inutilement (…). Et qui vous dit que nous avions cette pièce à notre disposition ?»
Et l’autocollant sur le pare-brise ? Ce même Fischer donnera sa version mais un peu plus tard : «Le système antibuée ne fonctionnait plus sur le pare-brise de l’Audi de Michèle. Oui effectivement, nous l’avons remplacé».

Si l’on peut se satisfaire de la réponse donnée au sujet du pare-brise, le diagnostic de la panne moteur paraît moins convaincant. Aussi deux jours plus tard, Roland Gumpert livrera une explication plus précise : «Cette pompe comprend deux canalisations, l’une alimentant le moteur, l’autre le turbo. Or la paroi séparant ces deux canalisations était brisée. De ce fait, le moteur souffrait d’un manque de pression alors qu’au contraire beaucoup trop d’huile était injectée vers le turbo, d’où la fumée importante qui a soulevé des soupçons ridicules».

Malgré ces précisions, un doute subsiste encore dans les esprits : un moteur peut-il supporter sans plus de dommages une importante baisse de pression d’huile pendant plusieurs dizaines de kilomètres ? N’a t-on pas parlé d’une fumée blanche, signe d’une évaporation d’eau et non d’huile ? Autant dire que les rumeurs continuent d’aller bon train… Malheureusement, les événements qui vont suivre ne vont pas simplement entretenir une énigme : c’est une véritable bombe qui va exploser. Toujours après l’arrivée de la seconde étape d’autres détails vont en effet peser lourd sur la balance… et ne pas la faire pencher du côté de la bonne foi d’Audi.

Sur la voiture n° 2, au parc fermé de Yamoussoukro, on remarque tout d’abord l’absence du numéro de toit. «Il s’est décollé» expliquera tout simplement Fischer. «C’était juste avant l’arrivée de la seconde boucle, poursuit-il. Quand je m’en suis aperçu, je suis d’ailleurs parti moi-même à sa recherche, mais des enfants avaient dû le ramasser car jamais je ne l’ai retrouvé». Possible… Mais comment expliquer qu’un numéro entièrement autocollant, posé sur une carrosserie propre, au départ du rallye, puisse s’arracher entièrement ?

Des journalistes anglais constatent plusieurs détails qui alimentent encore un peu plus la théorie de l’échange de voiture entre la n°11 et la n°2 : pourquoi les noms des pilotes avaient-ils été exceptionnellement collés sur les portes et non sur les ailes comme cela se pratique couramment ?

Maquiller une voiture : Impossible ou élémentaire ?

Cette affaire aurait pu se calmer si l’Audi n°11, soit disant cannibalisée au profit de la 2, avait été ramenée à Yamoussoukro. Chacun aurait ainsi pu valider la version d’Audi et ce geste aurait très certainement mis immédiatement un terme aux rumeurs évoquant un changement de voiture. Mais personne ne reverra cette machine à Yamoussoukro ! Justification de Gumpert : «Pourquoi donc l’avoir ramené ici alors que nous n’avions pas de garage pour l’y abriter. Nous l’avons remorquée jusqu’à Abidjan qui se trouvait beaucoup plus près par la route de l’endroit où elle était restée en panne». Soit, peut-être, d’autant qu’on peut comprendre que Roland Gumpert n’ait pas jugé utile de ramener cette voiture à Yamoussoukro, puisqu’à ce moment il n’avait certainement pas eu vent de l’ampleur de ces rumeurs.

En revanche, ne pouvant plus en ignorer la gravité après l’arrivée de la seconde étape, le Team Manager allemand aurait dû changer d’avis. Et puis reste une question gênante : pourquoi ne pas avoir réparé cette Audi alors qu’il ne s’agissait que d’une pompe à huile?

Le problème est en tout cas suffisamment pris au sérieux par le collège des commissaires sportifs, dirigé par Bernard Consten qui ordonne une enquête auprès des commissaires techniques bien qu’aucune réclamation n’ait été déposée par un autre concurrent ou une autre équipe. Un examen détaillé sera effectué après l’arrivée de la troisième étape dont il ressortira que le véhicule contrôlé est bien le même que celui qui a subi les vérifications techniques au départ de l’épreuve : plaque d’immatriculation et plomb sont conformes. Surprise cependant, ce rapport ne fait pas état du numéro de châssis alors qu’on aurait pu voir dans cette vérification comme un prérequis !

Est-il possible de maquiller aussi bien une voiture de course, jusqu’au plombage normalement inviolables et infalsifiables, en aussi peu de temps ? «Absolument impossible» affirment de concert les commissaires techniques Jacques Chambon et André Lafontaine. «Elémentaire», confieront cependant plusieurs mécaniciens plutôt… expérimentés dirons nous !

Le jugement des photos

On dit souvent qu’une image vaut 1000 mots, en comparant les voitures n°2 et 11 sur photos, avant et après «la pause pompe à huile», le constat se révèle encore plus troublant ! Voici une liste des détails qui entretiennent la légende de cette histoire :

La numéro 2 lors de la première journée, avant l’intervention mécanique

La numéro 2 après le changement de pompe à huile

1/ Le premier détail qui a sauté aux yeux de tout le monde. Au départ du rallye, une vignette autocollante (accolée lors du rallye de Nouvelle Zélande) permettait de reconnaître le pare-brise de l’Audi de Braun-Fischer. Cette même vignette se trouvait sur la voiture de Mouton-Hertz au passage du bac. On peut toutefois très bien croire que ce pare-brise ait été changé lors d’une assistance. Crédible !

2/ Autre détail spectaculaire: la voiture de Mouton-Hertz (préparation type Safari) était équipée de phares additionnels sur les ailes. Celle de Braun-Fischer (type Nouvelle Zélande), n’en portait pas.
Au passage du bac, l’Audi de Mouton-Hertz ne possède plus ces phares et des fils électriques dépassent de la carrosserie. Ces phares peuvent cependant avoir été démontés pour faciliter le remplacement du pare-brise. Faute de temps, ils n’auraient pas été refixés. Mais pourquoi ne pas l’avoir fait ensuite, l’opération ne réclamant que quelques secondes ? A moitié crédible !

3/ Peu de gens avaient remarqué cette différence. Il fallut l’aide des photos pour le vérifier. Entre la première et la seconde étape, les pattes de maintien du pare-brise ne se trouvent plus au même endroit sur la voiture N°2. Il est pourtant difficile de modifier l’emplacement de ces pattes car celles-ci sont fixées directement sur le toit. Le plus troublant est que l’écartement séparant ces deux renforts, est devenu identique à celui que l’on pouvait noter sur la voiture de Braun-Fischer. Pourquoi les avoir changés de place ? Plutôt très louche !

4/ Entre la première et la seconde étape, l’autocollant HB n’est plus au même endroit sur la voiture N°2. Bizarre !

5/ Les pare-buffles des Audi N°2 et 11 étaient de formes différentes et surtout avaient de points de fixation sur la carrosserie différents. L’orifice où est fixé le montant inférieur droit du pare-buffles, a changé entre la première et la seconde étape. Plutôt louche !

6/ La Quattro N°2 était dotée de barres de section carrée. Celles-ci servaient sans doute de point de levage en assistance. La machine de Braun-Fischer ne disposait pas de ce système. Après le remplacement de la pompe à huile, la voiture N°2 n’en dispose plus non plus. Encore plus louche !

7/ A l’arrière la forme de la carrosserie est différente entre les voitures 11 et 2, et surtout, ce sont les crochets de remorquage (une grosse patte sur la 11, une légère protubérance sur la 2) qui distinguent nettement ces deux machines. Photographiée par Martin Holmes dans la seconde étape l’arrière de la 2 est identique à celui de la 11 dans la première…

Terrible déferlement d’indices dont les plus troublants sont les pattes du pare-brise, pourquoi les aurait-on changé de place pour les installer exactement comme sur la 11, et la partie arrière de la carrosserie, dont on n’imagine mal les raisons qui auraient incité les mécaniciens à découper la partie arrière de la 11 pour l’installer sur la 2. Est-ce tout simplement possible ?

Témoignage

Peu de gens peuvent se vanter de connaître aussi bien l’histoire du rallye de Côte d’ivoire que Daniel Dumas, journaliste français à Abidjan, où il travaille pour le quotidien Fraternité Matin. Ne pouvant résister au désir d’éclaircir cette affaire, celui-ci a attendu la fin de la course pour mener sa propre enquête. Il est le seul à avoir revu la mystérieuse Audi n° 11…: «Peu de temps après la fin de l’épreuve, je me suis rendu au garage utilisé par l’équipe Audi à Abidjan. Quelques mécaniciens y travaillaient encore. Ils m’ont laissé entrer sans difficulté. Non sans étonnement, j’y ai découvert 3 voitures rangées côte à côte:
– l’Audi accidentée par Michèle lors des reconnaissances suite à un contact surprise avec un train
– la voiture n°2 de Michèle qui a abandonné dans la dernière étape du rallye
– et, enfin, la fameuse machine supposée être la ° 11 de Braun-Fischer

En regardant cette dernière de plus près, j’ai remarqué que le pare-buffles avait été démonté et qu’il se trouvait à l’intérieur de l’habitacle. Le capot avant n’était pas fermé mais simplement fixé par une sangle, l’extrémité de ce capot dépassant d’un centimètre de la carrosserie. Les ailes avant portaient des trous à l’endroit où se trouvaient les phares additionnels de la 2. Au départ du rallye, la n°11 n’était pourtant pas équipée de ces phares. Comment ces trous qui n’existaient pas au départ sur la 11 étaient arrivés là ?

Mais c’est le kilométrage affiché par les deux voitures qui m’a le plus surpris:
-2 573 km pour celle de Fischer,
-12 230 km pour celle de Mouton.

La logique aurait pourtant voulu l’inverse. Ayant servi à Stig Blomqvist en Nouvelle Zélande la voiture de Fischer devrait en effet avoir plus roulé et afficher plus de km que celle de Mouton qui n’était pas parvenue au terme de la première étape du Safari !»

Vous disiez troublant ? Bien que ces révélations de Daniel Dumas ne constituent pas des preuves mais ne sont basées que sur ces observations et son récit, on notera cependant qu’elles ne font que grossir un peu plus le lourd dossier Audi.

Pourquoi?

Reste toutefois la plus grande énigme de cette affaire : pourquoi Roland Gumpert aurait-il encouru un risque aussi énorme ? Pour sauver une 3ième place dans un rallye où le seul enjeu consistait à préserver le rang de pilote prioritaire pour Michèle Mouton ? Il s’agit bien là de la question la plus importante à laquelle il est difficile de trouver de réponse vraiment satisfaisante. Et comme le dit l’adage, la triche ne paie pas puisque Michèle Mouton abandonne lors de la dernière journée du rallye…

Merci à Gnico de 2thering.com pour les recherches historiques.

Source : Sport Auto n°287 de décembre 1985 et http://www.urquattro.fr/

Crédit photos @ Archives Audi, rallye de Cote d’Ivoire, O. Marguerat, C. Masséla et D.P.P.I.

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Yacco71

1 commentaire

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  • Mmmh…Troublant en effet. Et extrêmement intéressant ce sujet. Vivement un autre du même genre !

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