Quand on pense à la Mazda MX-5 de 1ère génération, ou Miata aux USA ou Eunos au Japon, une image vient immédiatement à l’esprit : celle d’un petit roadster joyeux, phares relevés comme un sourire, filant sur une route de campagne. C’est plus qu’une voiture ; c’est une icône du plaisir de conduire. Mais derrière cette icône se cache un homme, Tom Matano, dont la philosophie de design et de vie recèle des leçons surprenantes. Loin d’être un simple styliste, Matano était un visionnaire dont l’approche de la créativité, de la communauté et de la conception de produits a transformé l’industrie. Plongée dans les histoires méconnues qui ont fait de la Miata bien plus qu’un assemblage de tôle et de boulons en cinq leçons inattendues.
Tom Matano, son plus grand succès est né de l’indifférence générale
L’un des plus grands paradoxes de la MX-5 est que sa pureté et son succès sont directement liés au fait que la direction de Mazda n’y croyait pas. Au sein de la grande machine d’un constructeur mondial, ce projet de petit roadster était considéré comme une niche, sans grand potentiel commercial. Cette indifférence s’est avérée être une bénédiction.
Libérée de la pression des études de marché et des comités de direction, l’équipe a pu opérer en vase clos. C’était une cellule de passionnés, menée par des gens comme Tom Matano, qui n’essayaient pas de deviner ce que le public voulait, mais qui construisaient simplement la voiture qu’ils rêvaient eux-mêmes de posséder : « Au début, personne ne pensait qu’elle se vendrait. Alors on nous a un peu laissés tranquilles. C’est une voiture faite par des passionnés, pour des passionnés. Nous avons fait la voiture que nous voulions acheter. »
Cette anecdote est une leçon : parfois, le manque d’attentes est le meilleur catalyseur pour l’innovation. Quand personne ne regarde, la créativité a l’espace nécessaire pour s’épanouir sans compromis.
Tom Matano, le design « classique » était en fait une rébellion californienne
Le look intemporel de la Miata (MX-5 NA lire notre essai ici), qui semble si évident aujourd’hui, est né d’une bataille pour l’âme même du projet. L’idée originale venait du journaliste américain Bob Hall, qui avait suggéré à Mazda de construire une version moderne et fiable des roadsters anglais classiques. C’est dans ce contexte qu’une compétition interne acharnée fut lancée.
Les deux propositions du studio de Tokyo étaient résolument tournées vers l’avenir : l’une était un cabriolet à traction avant, l’autre une voiture à moteur central, dans la veine de la Toyota MR2. Des concepts modernes et logiques. Mais le studio californien de Tom Matano a pris une direction radicalement opposée. Leur concept, baptisé « Duo 101 », regardait délibérément vers le passé, s’inspirant de l’âme des roadsters anglais comme la Lotus Elan. Influencé par son immersion dans la culture automobile décontractée de la Californie, Matano a parié que l’émotion et la fidélité à l’étincelle initiale l’emporteraient sur la modernité pure.

Contre toute attente, c’est cette vision « rétro » californienne qui a gagné. Le résultat est l’un des retournements les plus fascinants de l’histoire du design automobile : l’esprit d’un roadster britannique a été ré-imaginé en Californie, pour une marque japonaise, pour conquérir le monde.
Tom Matano a planifié l’héritage de la Miata avant même sa naissance
Tom Matano ne pensait pas seulement en termes de design, mais aussi en termes d’héritage. Une anecdote fascinante le prouve : dès 1986, trois ans avant même la commercialisation de la voiture, il a pris le temps de rédiger un plan pour l’avenir de la Miata, s’étendant sur trois générations.
Il a décrit lui-même cette démarche avec une clarté visionnaire, il a écrit cette histoire : « comme si quelqu’un 20 ans plus tard achetait un Guide du collectionneur de [la] Miata ».
Cette approche révèle une vision à long terme stupéfiante. Pour Tom Matano, il ne s’agissait pas de lancer un produit, mais de cultiver un futur classique. Il construisait la voiture et son histoire simultanément. Son influence a perduré au point qu’il a été consulté même pour la ND, MX-5 de quatrième génération (lire notre essai ici), des décennies plus tard. Son humilité face à la longévité de sa création était touchante : « J’ai dit : ‘Je n’avais jamais prévu une quatrième génération.’ Je pensais être à la retraite ! ». Son conseil aux ingénieurs était simple et direct, résumant toute sa philosophie : « à 100 mètres, de face ou de dos, ça doit être une Miata. »
Tom Matano a conçu une communauté, pas seulement une voiture
L’une des plus grandes réussites de la Miata est la communauté passionnée et soudée qu’elle a créée. Pour Tom Matano, ce n’était pas un hasard, mais une intention dès le premier jour. Il comprenait que le succès d’une telle voiture ne dépendait pas seulement de ses qualités dynamiques, mais de la connexion humaine qu’elle pouvait générer.
Une idée, qui n’a finalement pas été retenue mais qui illustre parfaitement sa pensée, concernait le bouton des phares escamotables. Il voulait y ajouter un « smiley jaune ». Son intention était de créer un signe de ralliement, un rituel pour les propriétaires : « J’ai toujours imaginé une règle pour le club Miata : appuyer sur ce bouton quand on croise une autre Miata. Finalement, les gens le faisaient quand même. »
Tom Matano n’a jamais abandonné cette communauté. Il était un pilier des rassemblements de fans, comme la Miata Reunion, où il passait des heures à discuter avec les propriétaires et à signer des autographes sur leurs voitures, ajoutant souvent son slogan personnel : « Toujours Inspiré ».
Tom Matano était un créatif unique qui défiait les moules de l’industrie
Le parcours de Tom Matano montre un esprit indépendant qui a toujours refusé d’être mis dans une case. Avant de façonner l’âge d’or de Mazda, il a travaillé pour GM/Holden en Australie et même pour BMW en Allemagne. Son passage chez le constructeur bavarois fut bref, à peine un an. Il l’a quitté en expliquant qu’il ne voulait pas « passer des décennies à travailler sur un seul modèle », révélant un désir d’avoir un impact plus large et plus varié.
Ce caractère unique lui a valu le respect de ses pairs. Patrick le Quément, alors directeur du design de Renault, l’admirait au point de l’inclure dans sa courte liste de candidats pour prendre la tête du design de Nissan en 1999. Le Quément le décrivait comme un individu fascinant : « profondément japonais mais amoureux de la Californie », une personnalité qui « ne ressemblait ni aux autres designers nippons, ni aux autres designers américains » et qui s’exprimait « sans hypocrisie ».
Cette description est la clé pour comprendre son génie. Tom Matano n’était ni l’un ni l’autre ; il était un créatif d’une « troisième culture », un pont unique entre l’esthétique disciplinée du Japon et la culture automobile passionnée et libre de la Californie. C’est précisément cette position singulière qui lui a permis de créer une voiture japonaise, inspirée d’un idéal britannique et née en Californie, qui a su toucher une corde sensible universelle.
En fin de compte, l’héritage de Tom Matano va bien au-delà de la tôle et du design. Il incarne une philosophie où la passion l’emporte sur les études de marché, où la vision à long terme prime sur le gain immédiat, et où un produit peut devenir un catalyseur de connexion humaine (lire notre roadtrip en MX-5 ici). L’œuvre de sa vie continuera de rouler pendant de nombreux kilomètres joyeux, nous laissant nous demander : combien de produits que nous aimons seraient meilleurs s’ils étaient créés avec une telle âme ?
Tom Matano en quelques dates
La carrière de Tsutomu « Tom » Matano s’est étendue sur plusieurs décennies et continents, marquée par des postes clés chez plusieurs grands constructeurs automobiles :
- Formation : Né à Nagasaki en 1947, il obtient un diplôme d’ingénieur de l’université Seikei de Tokyo en 1969. Aspirant à une carrière dans le design automobile, il s’installe aux États-Unis en 1970 pour intégrer l’ArtCenter College of Design de Pasadena, en Californie.

- General Motors : Après l’obtention de son diplôme, il est embauché par GM, travaillant d’abord pour la division Oldsmobile avant d’être envoyé au studio de design Holden en Australie, où il passe sept ans.
- BMW : Il déménage ensuite en Allemagne pour un bref passage chez BMW, où il participe aux premières ébauches de la future Série 3 E36. Il quitte l’entreprise après seulement un an, estimant l’approche allemande trop lente. Il confiait récemment : « Dans une entreprise comme BMW, vous finissez par passer des décennies à travailler sur un seul modèle ».
- Mazda (1983-2002) : En 1983, il rejoint Mazda pour diriger le premier studio de design nord-américain de la marque à Irvine, en Californie. C’est là qu’il mène le travail de design de production sur la MX-5 Miata originale et supervise la conception de la RX-7 de troisième génération FD, son autre grand succès. Sa carrière évolue, le menant à diriger la R&D chez Mazda Amérique du Nord avant de superviser l’ensemble des studios de design mondiaux du constructeur.


- Éducation (après 2002) : Après son départ de Mazda en 2002, il devient directeur exécutif de l’École de design industriel de l’Académie des arts de l’Université de San Francisco, un poste qu’il a occupé jusqu’à sa retraite en 2025. Il y forme de futurs designers automobiles et des étudiants d’autres disciplines.
- Autres Rôles : Il devient également membre de l’organisation de presse Western Automotive Journalists et officie régulièrement comme juge invité au prestigieux Concours d’Élégance de Pebble Beach.
- Décès : 20 septembre 2025 à 76 ans.
Crédit photos @miatapapa (Instagram Tom Matano), Bay Area Miata Association.
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