Emile Salmson a fondé la Société des Moteurs Salmson en 1913 pour se consacrer à la fabrication de moteurs d’avions, activité malheureusement fleurissante les années suivantes avec la première guerre mondiale. En 1919, comme de nombreux confrères tout en conservant sa production de moteur d’avions puis même d’avions, il s’oriente vers une activité alors en plein essor : l’automobile légère, les cyclecars. En motoriste avant-gardiste, il développe puis applique sur chacun de ses moteurs une culasse à double arbre à came en tête, offrant des performances bien supérieures au production plus classiques culbutées. Les succès en compétition sont au rendez-vous ce qui encourage la jeune firme à franchir une étape supplémentaire, celle de l’automobile de luxe dès 1929 avec les modèles S4. Si ces modèles rencontrent un certain succès et continuent d’évoluer et se moderniser, le remplacement début 1950 par les « 72 » ne parvient pas à relancer la marque qui court droit à la faillite. C’est dans ce contexte tendu que Jacques Bernard, patron de la SMS depuis 1951, fait appel à Eugène Martin, un pilote émérite qui s’est fait remarquer pour une très belle réalisation d’un coupé sur base de Peugeot 203. Il part donc du châssis et de la mécanique de la G72 Randonnée, pour proposer une nouvelle carrosserie, plus moderne et aussi plus petite, une nouvelle voiture de sport Salmson.
La 2300 S (S pour Sport) est ainsi présentée au Salon de Paris 1953 sous la forme d’un élégant coupé d’abord fabriqué dans l’usine Salmson de Boulogne-Billancourt puis chez différents carrossiers dont, entre autres, Esclassan puis Chapron. La voiture est belle, efficace et technologique, mais chère à produire. Malgré plusieurs succès en rallye dès 1953 avec Roger Rauch et René Cotton (Coupe des Alpes, Liège-Rome-Liège, Monte-Carlo, Lyon-Charbonnières) puis les Milles Miglia et le Tour de France en 1954, la 2300 S se vend peu et ne renflouent pas les comptes de Salmson qui sombrent une nouvelle fois et change de main pour rejoindre Mathieu Van Roggen, PDG de Minerva. Ce sera le dernier souffle de la marque, une tentative de berline 2300 S restée sans lendemain, 82 voitures se vendent en 1955, antépénultième année d’existence de Salmson. C’est un de ces exemplaires que nous avons le privilège d’essayer aujourd’hui, et pas un « simple coupé » mais l’un des 5 cabriolets 2300 S produits, certes tous survivants mais dont seulement 3 sont encore roulant !
La haute couture française
Il n’est jamais aisé de “détoiter” un coupé, encore plus quand la base est élégante et harmonieuse, mais une nouvelle fois la maison Henri Chapron démontre sa maîtrise totale du sujet. Décapotée la 2300 S s’allonge délicieusement pour offrir un large habitacle, particulièrement mis en valeur avec cette sellerie rouge tranchant du gris de la carrosserie, tandis qu’une fois la capote en place les proportions se changent, donnant logiquement un peu plus de hauteur au cabriolet, qui visuellement semble d’un coup plus spacieux. On est loin du coupé avec son pavillon court et galbé, c’est une autre auto ! La face avant n’est pas modifiée, les optiques ronds encadrent une calandre élégante soulignée d’un pare-choc droit. Si de loin la face avant pourrait avoir des airs de Peugeot pour les moins observateurs d’entre nous, les courbes et les galbes subtiles donnent une élégance discrète et raffinée qui se dissimulent sous la robe grise. Scrutez les détails, il y a moult lignes qui sous certains angles donnent un vrai air d’Aston Martin DB4 Superleggera à ce museau gris. Non non je n’exagère rien, regardez mieux !
Le profil allongé est marqué par la baguette horizontale, droite de chez droite tandis que les passages de roues sont souligné d’une délicate arrête, simple, efficace et classe. Un peu comme les roues à rayons Robergel avec le petit enjoliveur chromé au centre, chaussées de Michelin X 165×400, une valeur sûre et indémodable qui au milieu des années 50 affirme le rang d’une automobile. De dos on retrouve trait pour trait l’arrière du coupé 2300 S avec des feux admirablement bien intégré au galbe des ailes arrières. Un peu trop peut-être, car aujourd’hui, avec une circulation plus dense et des yeux de conducteurs habitués à des guirlandes de LED, ces petits feux ronds sont difficilement visibles, à moins que ce ne soit la beauté de ce postérieur qui nous trouble la vue. Il y a un peu de Panhard, un peu de Delage dans cet arrière, pas aussi noble que la comparaisons avec Aston, mais ce n’est pas moins flatteur ! L’ensemble est harmonieux et équilibré, le cabriolet Chapron ne fait pas 4m41 de long et 1m64 de large. Et bonne nouvelle, sur la balance non plus puisque seulement 1230 kg sont annoncés alors qu’on aurait pu redouter bien plus compte tenu de la conception sur châssis séparé. Disons que cela offre l’avantage de limiter les renforts de caisse nécessaires lors du passage d’un coupé à un cab sur une monocoque.
Œuvre d’art sur canapé cuir
Si le terme de haute couture s’applique plutôt bien à la carrosserie Made in France, il est tout autant approprié lorsque que l’on ouvre la longue portière pour se glisser à bord. Difficile de contenir son regard tant les sources d’attraits sont multiples : le cuir rouge des sièges accueillant, la belle moquette, mais surtout ce tableau de bord ! Et quel morceau, magnifiquement peint à la main avec ce motif onduleux en nuances de gris, l’artiste a même signé son œuvre en bas à droite du tableau … de bord. De prêt le rendu est vraiment étonnant avec un travail minutieux du plus bel effet. On remarquera au passage l’instrumentation complète face au conducteur, à droite puisque nous sommes dans une automobile de luxe : pression d’huile, température d’eau ou encore charge de la batterie sont présents, la belle horloge au centre ne gâche rien et la radio qui se trouve presque devant le passager complète ce riche équipement.
La sellerie cuir rouge flatte le regard et le toucher par la qualité des matériaux (cuir, moquette, cover tonneau ou capote doublée), la restauration complète dont a bénéficié cet exemplaire lui rend toute l’élégance qu’elle doit à son rang de belle dame. Au passage on peut dire que cet exemplaire a connu une belle histoire : acheté neuf par Monsieur le Vicomte de Galembert, un homme de gout certainement vu son choix plutôt marginal en 1955 largement garni d’options, dont la sellerie cuir à 100.000 Francs. Le propriétaire suivant l’a ensuite bien utilisé dépassant les 100.000 km à son volant, avec de fréquents aller retour entre la Haute-Savoie et la région parisienne pour lui prodiguer un entretien dont seule une main d’œuvre qualifiée en était capable à l’époque. C’est alors Jean-Pierre qui l’a adoptée, dans un triste état après plusieurs dizaines d’années d’arrêt, et lui a redonné toute la gloire de sa jeunesse au travers d’une restauration complète étalée sur plus de 5 années, merci Jean-Pierre pour la sauvegarde du patrimoine ! Revenons donc à cet intérieur à 100.000, les sièges sont larges et magnifiques avec une cinématique originale et efficace pour laisser l’accès aux places arrières, un véritable canapé. Un fois assis le confort est surprenant, certes on est parfaitement installé, mais absolument pas maintenu, disons que l’on est plus proche d’une banquette avant séparée en son centre que de deux sièges enveloppants, là aussi, remis dans le contexte des 50’s, rien de bien surprenant. Le large volant est assez vertical mais tombe bien en face, par contre la proéminente boite de vitesse empiète un peu sur l’espace aux jambes, décalant par la même occasion le pédalier sur la droite,rien de gênant néanmoins, il reste tout même pas mal d’espace.
Un moteur et une boite technologique
Avant d’aller faire un tour, jetons un œil sous le capot. Tiens surprise, il s’ouvre vers l’avant, plutôt rare à l’époque ! Si c’est un gage de sécurité en évitant une ouverture intempestive en roulant, pas certain que les mécanos apprécient autant l’accès disons un peu plus difficile. Un joli bloc alu se découvre, assez imposant avec sa longue course de 105 mm et surtout une culasse double arbre à cames, choix technologique cher à Salmson depuis son origine. Le 4 cylindres cube 2.3 litres, oui d’où appellation 2300 (logique !), offrant un peu plus de 110 ch mais surtout pas mal de couple, un 4 pattes à gros poumon. Durant sa seconde vie, le second proprio de Mme # 85.227 a eu la bonne idée de remplacer son carbu Solex par un Weber 40 moins capricieux et certainement plus facile à maintenir et régler que le Solex double corps d’origine. Nul doute qu’il aide encore un peu aujourd’hui à nourrir ce 4 cylindres, en tous cas il flatte l’oreille dès le ralenti 🙂
Si le moteur est plutôt moderne pour l’époque, la transmission l’est tout autant : il s’agit d’une boite de vitesses électro-magnétique « Cotal » à 4 rapports avant, mais aussi arrière via un inverseur qui remplace la traditionnelle commande au plancher. Voilà pourquoi la place semblait un peu comptée à l’intérieur, la Cotal prend de la place mais offre 4 vitesses, avantage certain sur la concurrence de l’époque qui n’en proposait alors bien souvent que 3. C’est donc ça le petit joystick au bout du commodo à gauche du volant, la commande Cotal, si petite, douce et aussi fragile. Sous sa robe classique et élégante, malgré un châssis séparé qui pourrait paraître dépassé par exemple face à une Citroën Traction Avant monocoque sortie en 1934 et remplacée en cette même année 1955 par l’ultra moderne DS, mais la Salmson a d’autres atouts à faire valoir. Le bémol reste que ces atouts coûtent cher, voilà certainement la raison des soucis financiers à répétition de la marque…
En route Mr le vicomte
Point de vicomte aujourd’hui, mais le sympathique Jean Pierre au volant pour une balade dans les cols de Haute-Savoie, routes que le cabriolet Chapron doit être heureux de retrouver bien des années plus tard. Premier constat, en manœuvre, à l’arrêt ou presque, la direction est particulièrement lourde, heureusement l’impression disparaît dès que le rythme s’accélère un tout petit peu. La commande de boite est tout simplement incroyable, ce mini bouton avec la grille en H s’actionne du petit doigt, et comme par miracle quasiment instantanément là-bas au loin une vitesse change. C’est beau la technologie ! Les 4 vitesses sont plutôt bien étagées, mais le couple du 2.3 permet de toutes façons de reprendre très bas dans les tours sans la moindre hésitation, l’ensemble se montre très volontaire et tout à fait apte aux grands trajets. S’élancer c’est bien, faut-il encore s’arrêter ensuite ! Les 4 gros tambours sont délicats à régler, lors du dernier roulage la garde était un peu trop juste une fois les freins chauds, cette fois-ci elle est un poil trop longue : il ne faut pas hésiter à appuyer sur la pédale qui s’enfonce loin, mais ralenti les 1200 kg de la belle. Le châssis est étonnant de rigidité, les amortisseurs télescopiques guident parfaitement le train avant qui absorbe sans trop broncher les dégradations ou les appuis, on sent juste l’arrière un peu moins rigoureux avec ses amortisseurs à leviers, mais dans l’ensemble elle se comporte plutôt très bien et n’a pas à rougir de la comparaison avec une auto bien plus moderne.
La vie à bord est agréable, les remous d’air ne sont pas insupportables, la voiture n’est pas trop bruyante, par contre on revient sur le maintien des sièges totalement inexistant. Le volant est assez grand pour s’y accrocher, mais le passager avant aura vite fait de chercher où s’appuyer et où s’accrocher pour ne pas glisser d’un coté à l’autre de la belle assise rouge. Autre époque autre confort, c’est sur ce point (et sur les freins) que la Salmson marque le plus son age. Pour le reste elle ne fait pas ses 62 ans ! Vous êtes sous le charme et vous vous apprêtez à sauter sur “leboncoin” pour en dénicher une pas trop loin de chez vous ? La déception risque d’être grande, pour rappel seuls 5 cabriolets ont été construits (et 222 coupés entre 1952 et 1957), peu ont changé de main ces dernières années. Difficile alors de donner une idée de la côte qui dépendra beaucoup de la demande… Sachez néanmoins que les pièces sont de plus en plus difficiles à trouver due à cette faible production, mais l’amicale Salmson pourra être d’une précieuse aide ! Quoiqu’il en soit, le plus difficile sera définitivement d’en trouver une pour avoir le plaisir de rouler à son bord. Un grand merci à Jean Pierre pour m’avoir fait goûter au luxe français de 50’s.
Crédit photos @ Ambroise Brosselin
Bonjour Alain,
Merci pour ces précisions de quelqu’un qui semble particulièrement passionné par la marque.
Ce n’est pas Emile Salmson décédé en 1917 et ses héritiers ayant cédé leurs parts à un groupe d’investisseurs qui ont pris la nouvelle orientation automobile, mais c’est cette nouvelle équipe qui en a décidé ainsi.
D’autre part, Minerva n’est resté propriétaire de la SMS que de du 2 décembre 1954 au 4 février 1955 la société Bernard Moteur en redevenant propriétaire mais Jacques Bernard refusant la présidence.