Après la présentation détaillée de la Lamborghini Huracan LP610-4, passons derrière le volant pour un essai routier.
Andare nell’arena
Alors que nous visitions les arènes de Ronda, un guide conférencier Espagnol, Juan Marti Puyol, (très) grand amateur de tauromachie, une référence, me confia que nombre de toréadors refuse d’affronter un taureau de race Miura, trop dangereux : « Même à vingt mètres il te donne la chaire de poule, un regard livide de tueur. Ils ne sont que muscles et nerfs. Inépuisables, aucune race de taureau ne les égale ». Tel est le « Miura », qu’en est-il de l’« Huracan » ? Taureau ayant combattu à Alicante en 1879, reconnu pour son courage exceptionnel et son sens de l’attaque.
Rendez-vous pris chez son propriétaire, Philippe. La météo annonçait beau temps, sitôt nous partons, sitôt une fine pluie tombe, bravo, cela commence bien. Philippe ne s’en inquiète pas et me confie qu’avec la transmission intégrale rien ne nous arrêtera. Nous convenons qu’il amène la voiture jusqu’à mon parcours d’essai. Déjà sur ce trajet je suis frappé par l’ambiance intérieur et surtout sa finition, aucun défaut, même si certains plastiques agacent et que du cuir eut été préférable mais l’assemblage germanisant rappelle qui fait loi à Sant’Agata Bolognèse. Son propriétaire me confie que la voiture ne souffre d’aucun “Gremlin” depuis sa livraison.
A froid, le compte-tours affiche un régime max de 6000tr/min, dès que le moteur chauffe il passe à 8500 tr/min. Sur les premiers hectomètres parcourus en passager je trouve l’amortissement moins filtrant que celui d’une 12C, mode “strada”, pourtant le confort apparaît remarquable et s’il en est un qui peut se targuer d’être sensible à la chose, c’est bien moi. Peut-être des sièges moins raides que la Mclaren ? Après quelques kilomètres est venu l’instant de changer nos positions respectives. Philippe stoppe la voiture et je m’active à prendre sa place. Simplifié par l’inexistence de pontons latéraux l’accès aisé rassure le contorsionniste que je ne suis plus. Les sièges peu enveloppants mais suffisamment pour un usage sportif conviennent à mon dos meurtri. L’ergonomie est parfaite, tout tombe sous la main, je règle ma profondeur de siège, facile.
Détail ayant son importance, favorisant à mon avis l’impression d’agilité du modèle, le pare-brise se termine sur sa base quasiment à hauteur de l’axe des roues avant. Il en résulte une distance importante entre votre torse et la ligne frontière du tableau de bord, relativement profond. Impression majorée en qualité de passager. Ceci diminue la longueur du porte-à-faux avant et donne l’impression de pivoter sur un axe centrale passant par le barycentre de la voiture en plein virage.
Activez la machinerie via la « mise à feu » et ses pistons chantent en cadence brodant d’interminables variations sur une partition simplette de votre pied droit. Ces choristes de fer entrecroisent leur chant avec beaucoup d’harmonie comme un opéra à l’arrière goût magnifiquement métallique. Cet orchestre infernal hurle sa férocité d’un son grave mais aérien, la juste mélodie entre gravité usante d’un pot sport de Mclaren 12C (NDA : j’écris 12C car je n’ai pas encore essayé la 650S) ou stridente mais fatigante vocalise d’une Ferrari 458. Jamais travail acoustique ne s’avéra autant lié au visuel, une osmose difficilement égalable de nos jours avec l’avènement des mécaniques suralimentées. A l’arrêt, assis à son volant, cette voiture hypnotise et rend heureux.
Je me lance en mode manuel, bouton M sur la console centrale appuyé, mode « Strada ». Déjà sur les premiers 50 mètres, beaucoup est dit, moteur très coupleux, bien plus qu’une 458, sans comparaison. Philippe abonde, lui aussi un habitué du modèle. Mon parcours débute par une petite montée, je me cale gentiment en 3ème et découvre m’engageant dans un rond point l’excellente ergonomie des palettes, vos mains ne quittent jamais leur contact, pour les clignotants sur le volant difficile de les activer en sortie du giratoire, une habitude à prendre me dit Philippe. Huumm, j’en doute. Peu importe, je vérifie ma « théorie » du pare-brise et en effet, j’ai l’impression de manœuvrer une Lotus Elise !
Sur une partie rectiligne, je me cale à 2000 tr/min en 6ème et appuie progressivement mais fermement, la voiture part comme une balle, j’atteins une vitesse répréhensible, j’en profite pour freiner, les disques carbo-céramique décélèrent fortement mais progressivement la voiture sans mouvement de caisse latéraux sur une portion de route pourtant irrégulière. J’arrive rapidement sur un véhicule, je déboite et le mystifie en une fraction de seconde. Quelle facilité mais surtout avec un sentiment de sécurité impressionnant sous la pluie, c’est déconcertant ! Sur cette première portion qui m’amène à mon terrain de jeux préféré Je continue à monter et descendre les rapports, toujours en mode strada. Le couple moteur impressionne alors qu’inférieur sur le papier à celui d’une 12C. L’acoustique à chaque rétrogradage me comble.
J’arrive dans un village, route peu large, la voiture se manie vraiment comme une Elise ! Est-ce le fameux Dynamic Steering mais l’Huracan se conduit avec une dextérité bluffante. J’appréhendais ce type de portion, que nenni, tout passe comme dans un rêve, facile ! Nous y sommes, me voilà au départ de ma portion préférée composée de lacets, courbes, portions rectilignes, fini de rigoler, la pluie redouble mais j’enclenche le mode « Corsa » sous le regard stoïque du propriétaire et hausse le rythme.
J’enchaine les courbes. La direction se révèle ultra-précise, pas de flou au point milieu. Sur circuit, je ne sais pas ce que l’on reproche à ce dynamic steering, enfin si, car sur route sa précision chirurgicale ne souffre d’aucune remarque. Je ne ressens pas le poids du véhicule même si je sens la voiture plus pataude qu’une 12C, un scalpel. Ne comptez pas rouler à cette cadence avec une propulsion de cette puissance sur un parcours aussi « gras », sortie de route assurée, sidérant ! Les limites de la voiture sont bien supérieures aux miennes comme souvent avec cette nouvelle génération de sportives néanmoins ici, sans faute grossière de votre part, vous n’irez pas au tas. J’en termine avec la deuxième portion de mon parcours et remarque que sans action, même en mode manuel, la boite rétrograde toute seule. A peine ce constat fait, j’observe que jamais je n’ai été aussi rapide au même endroit, euuuuhhhh, à quelle vitesse ai-je roulé ? Aucune idée mais la transmission intégrale impressionnante facilite surement ce record. Une partie de mon essai routier s’apparente à celui de cette video retranscrivant parfaitement la sonorité du moteur. Notez le « crépitement » à chaque levée de pied. D’ailleurs très peu perceptible dans la voiture, j’aurais aimé ouvrir les fenêtres mais il pleuvait.
Sur la troisième portion majoritairement rectiligne, je me discipline me promettant de jeter un regard au tachymètre. Je me lance, ayant parcouru moins de 400 mètres je respecte mon engagement, ouch, impossible de transcrire la vitesse lue sous peine de passer par la case prison. Celle atteinte dépasse l’entendement, ça tombe bien, il me faut ralentir. Je freine fort jusqu’à tomber à 30 km/h. Vindiou ! Décélération brutale mais linéaire. Je me rappelle mes premières armes au volant d’une Ferrari F355, bataillant avec le levier de vitesses cherchant le couple, survirant à des vitesses inférieures, me massant le dos par autosuggestion. Que les GT sont faciles de nos jours, peut-être même un peu trop, est-ce vraiment sécurisant ? Cela mériterait un débat.
Je passe en mode « Auto ». Confirmation que la voiture possède un couple de camion, à mon avis bien supérieur aux chiffres annoncés, je passe mon temps sur ce trajet retour entre 1000 et 1500 tr/min ! La logique cognitive appliquée à la boite de vitesses dépasse largement celle humaine. Un événement impromptu révèle ce fait. Arrivant sur une zone 50 km/h, je vérifie ma vitesse, 88 km/h, ralentis et me jure un contrôle vitesse assidu, promis. Ce qui va suivre m’interpelle. Sous 50 km/h, voir 30, le moteur reste calé sur 1000 tr/mn seul s’égrènent les rapports et la vitesse varie, le tout profitant des 420 Nm à ce régime (300 pour une 458) ! Balai incessant, 3-4-5, jamais hésitante la boite agit docilement, aucun à-coup, le régime moteur ne bouge pas, merci le couple. Au final, sur un parcours borné, en mode Corsa, j’en conclus qu’un quidam le couvrira surement bien plus rapidement qu’en mode manuel, les palette n’étant là que pour flatter son égo et décupler son plaisir.
Cette splendide Huracan dans sa version « Lamborghini Tribute », comprendre jantes d’origine rappelant celle d’une Countach LP400 S et son capot moteur avec « Louvre » type « Miura », impose une rétrovision nulle dont rapidement j’apprécie les affres. Philippe m’informe que l’option « capot de verre » était encore indisponible à la livraison de sa voiture, encore un particularisme de production que seul un italien comprendra, mais bon, passons à « Intervilles ».
Alors que nous traversons la banlieue Lyonnaise, voilà que nous tombons sur des travaux de voieries. Philippe me demande de m’engager dans une allée. Je m’exécute pour tomber sur un portail. Je me dois rebrousser chemin en marche arrière sur un rond point bloqué par les dits travaux. Génial, faire des manœuvres dans une sportive de 610 ch. Stoïque, j’enclenche la marche arrière relevant le « levier » au design « intergalactique », s’affiche alors sur le tableau de bord la vision de la chaussée arrière. Je note une résolution de caméra très moyenne, pour ne pas écrire médiocre, constat partagé par certains journalistes, la météo n’arrangeant rien. Ajouter à cela une visibilité nulle du fait des « Louvres » et seul vous sauve le sang-froid du samouraï. Donc, je recule doucement me guidant avec les rétroviseurs et les bips des senseurs. Un sympathique chauffeur de fourgonnette facilite la manœuvre d’évitement. Je réenclenche la marche avant en inversant la position du levier « intergalactique », Han Solo attitude. Me revoilà reparti, je vous laisse imaginer manœuvrer une Countach dans la même situation.
Tout juste rassuré, à peine sortie du rond-point, un soupir conclu, voilà que j’aperçois en sens opposé une ambulance des pompiers suivie d’un SAMU cherchant à doubler la file interminable de véhicule imposée par un feu. Je suis blême. Je vois la fourgonnette me précédant monter sur le trottoir latéral droit profitant d’une déclinaison. Philippe me dit « vas-y », quoi ! Je n’ai pas le choix. Une pichenette sur l’élévateur d’assiette et me voilà suivant la fourgonnette. Je place les deux roues à droite de l’Huracan sur le trottoir large de moins d’un mètre et haut de quinze centimètres. Je roule ainsi sur une vingtaine de mètres dans cette position acrobatique, le rétroviseur extérieur droit à moins de vingt centimètres du mur, l’autre à dix d’une ambulance puis du SAMU, faisant du tout-terrain avec une voiture de 225.000 € autant conçu pour l’exercice que moi pour dire une messe. J’écoute le moindre bruit, roulant au pas, m’apercevant que je suis toujours en mode « Corsa », mince. J’aperçois une nouvelle déclinaison, une sortie d’immeuble, j’en profite pour « redescendre ». Je m’insère à nouveau dans la circulation, encore statufié par l’exercice. Si vous souhaitiez une démonstration de facilité avec laquelle se conduit une Huracan vous voilà servi. Au feu, le moteur stoppe, système “start and go” oblige. Notez sur l’horodateur le sigle vert A. A peine vous relâchez le frein, sans ôter le pied de la pédale, le moteur s’anime. J’en profite pour repasser en mode « strada ». Soulever le pied du frein et la voiture avance toute seule, impossible de caler.
La compacité toute relative du véhicule, associée à une excellente direction rend tout parcours urbain aisé. Souplesse moteur et boite docile facilitent l’exercice. Je parque le véhicule, encore étonné par l’aisance de cette GT en tout lieu. Prenez une F40, moins puissante, moins performante, mythique, et pourtant oubliez vouloir réaliser le quart des figures imposées cet après-midi de décembre. Sur un terrain aussi gras, suicide garanti. Les temps sur circuit obtenus par le site « Auto.it » n’appellent pas à discussion.
Dernier exercice, depuis l’intérieur je commande l’ouverture du coffre, je m’extirpe sans difficulté, pas de contorsion, puis soulève lentement le capot de peur de réveiller un nid de chauve-souris. Je constate une exploitabilité hypothétique, juste de quoi ranger une caisse de Champagne. Dommage car cette voiture invite au voyage.
Je termine cet essai, je n’ai qu’une réserve, la facilité. Comprendre qu’avec une telle cavalerie cette voiture n’est pas à mettre dans toutes les mains. Certains pourraient se voir plus beau qu’ils ne sont. Mais pour qui garde la tête froide, important, cette voiture est fantastique, un taureau Miura apprivoisé. A ma grande surprise, cette Lamborghini est peut-être bien la seule sportive moderne que j’aurais plaisir à reconduire, je n’en dirais pas tant d’autres. L’ambiance à son bord, sa musicalité, son agilité et sa sécurité active m’ont impressionnés. Peut-être aussi que par certains égards Lamborghini reste la dernière grosse manufacture Italienne romantique, celui qui a visité l’usine comprendra. Enfin, va savoir. Me concernant, la boucle est bouclée…
Conclusion
Il y a plus de quarante ans, à la question « Comment est née l’idée de la Lamborghini Countach ? », Paolo Stanzani, directeur de la marque de 67 à 74 répond : « Elle naquit de la nécessité de travailler selon notre philosophie, qui était clairement: “on fait quelque chose de neuf, à l’avant-garde, et que les autres n’ont pas fait” – sinon, nous n’avions pas d’espace pour exister. Nous n’avions pas de tradition, ni de notoriété provenant de la course comme Ferrari ; nous, c’était l’avant-garde, technique, stylistique, en performances – être devant les autres. En Faisant une nouvelle voiture, vous remettez en question la vie de l’usine…si on se trompait, Lamborghini pouvait s’arrêter, il fallait donc une voiture qui soit une victoire. J’ajoute que ce genre de voitures exclusives faites en petite série doit à mon sens être acquises, et non vendue. On ne doit pas forcer le marché ; le client doit se dire “elle me plaît ! Je la veux !”. Dans ce sens, c’est un peu comme un jouet ». Une quarantaine d’années sont passées mais à la vue des codes stylistiques, technologiques, dynamiques et le succès du modèle (1000 unités vendues en deux mois, 3000 en 10) cette phrase résume l’Huracan. Philosophiquement parlant, rien n’a changé. Cet essai a rendu à l’adulte que je suis son regard d’enfant à la découverte de la page ci-dessous. Peut-être la plus belle émotion. Tout comme Horacio Pagani, ancien de l’officine confiant : « En réalité, je n’ai jamais quitté l’usine, une part de mon cœur est encore Lamborghini », étrangement, aujourd’hui, je partage ce sentiment.
Remerciements Impossible de rédiger cet article sans la complicité du propriétaire, un gentleman driver, authentique passionné engagé dans des divers championnats sur circuit. Merci pour sa confiance.
Un très grand merci à Lotus Lyon, Fred Decelle, sans lequel rien ne fut possible, le propriétaire de l’Huracan ayant aussi le bon goût de rouler en Lotus. Grand Merci à Quentin qui nettoya la voiture après mon essai et organisa la séquence photos. Bravo et merci à Joris Clerc pour ses superbes photos.
Il serait injuste de ne pas conclure ces remerciements sans féliciter Lamborghini et son président Stephan Winkelmann.
Comme sur la photo ci-dessous, non content de revendiquer la marque comme celle des bad boys, si, si, je l’ai lu et l’ai entendu, il en adopte les codes s’attifant à la mode Nicolas Anelka, pantalon relevé sur une jambe, gangsta rap, respect président.
Bonjour,
Merci pour cet essai routier réel ! qui me conforte dans l’achat de cette superbe voiture.
Hervé.
Merci pour cet instant de rêve. Je n’ai pas encore eu la chance de rouler en Lambo et tu m’as convaincu qu’il fallait que je le déflore sur le sujet.