Le problème avec les supercars, c’est que chaque génération rend obsolète la précédente. Plus puissante, plus performante, plus efficace, à chaque fois la petite dernière permet d’atteindre des sommets qui ne seront à leur tour finalement considérés quelques années plus tard que comme une marche supplémentaire vers l’infini.
Il a quelques années, ce devait être 2005 ou 2006, j’ai eu la chance d’être invité à une sortie du Club Ferrari France sur le circuit Bugatti au Mans. Lors de cette sortie j’ai pu sauter de baquet en baquet pour me faire transporter par des pilotes plus ou moins experts dans plusieurs modèles ornés du célèbre cheval cabré. J’avais alors réalisé un rêve.
Parmi les véhicules essayés (en passager il faut le signaler), j’avais pu enchaîner une 360 Challenge Stradale et une F430 encore toute jeune. J’avais été frappé par la différence de mise en vitesse entre ces deux modèles pourtant peu éloignés en âge. La F430 avait sans l’ombre d’un doute les près de 70 ch supplémentaires ! Mais malgré cet avantage de puissance, ma préférence était restée à la 360 Stradale pour sa sonorité extraordinaire en grande partie.
La perspective de prendre le volant de la 360 Challenge Stradale ce dimanche dernier me renvoie à ce magnifique souvenir. Dans sa robe jaune, la 360 est à mon avis à son avantage. Ses lignes peuvent paraître quelque peu bulbeuses avec le recul des ans, en particulier sur la face avant, mais selon moi la voiture reste une des plus belles de la lignée des V8.
A ce propos, je trouve qu’il s’agit d’une lignée dont les générations ne sont véritablement réussies qu’une fois sur deux : 308/328 sublimes, 348/355 pataudes, 360 magnifique, 430 brouillonne, 458 époustouflante ! Je n’ai pas forcément hâte de voir la prochaine du coup….
Mais revenons-en à la 360. Je disais donc que la face avant est un peu globuleuse aux yeux de certains. Certes les feux sous bulle sont un peu larges, en particulier selon les canons actuels. Par ailleurs les entrées d’air à chaque extrémité du bouclier avant peuvent donner l’impression qu’il manque un élément au milieu. Mais au final, feux et bouches d’aération font converger le regarde vers une pointe virtuelle au centre de la face avant, dynamisant la proue. Le regain d’agressivité du bouclier spécifique à la Stradale tend cependant à viriliser un peu celui de la version classique, ce n’est pas un mal je vous l’accorde.
Si la face avant peut donc prêter à discussion, même pour un inconditionnel comme moi, le profil lui est dénué de défaut. Tout en courbes, Pininfarina à réussi à réinterpréter les galbes des 308 avec élégance, reprenant un avant fin semblant fendre l’air et un arrière plus en muscles. Le dessin des vitres accompagnant et même accentuant la courbure de la ligne de caisse. On dirait presque qu’il relance même la vague de l’arrière vers l’avant pour aider cette ligne de caisse à repasser au dessus de la roue avant. Et non, je n’ai pas consommé de substances illicites, je suis juste amoureux.
Vue de derrière, c’est là à mon sens que se fait toute la différence entre la callipyge 360 et la bodybuildée F430. Les doubles feux ronds, intégrés à la grande grille noirs spécifique à la Stradale, rappellent eux aussi les anciennes Ferrari et la mini queue de canard est un agréable clin d’œil aux GTO… 250 autant que 288.
Quelles que soient les arguments stylistiques de la 360, il faut bien avouer que c’est aussi la première fois dans la lignée que les considérations aérodynamiques rentraient véritablement en ligne de compte. Ce masque avant dont le centre est surélevé permet au flux d’air de s’écouler sous la voiture avec un minimum de turbulences, tandis que pour la première fois un extracteur apparaît à la poupe.
Bref, vous avez le droit de ne pas partager mon enthousiasme, mais pour moi la 360 Modena, en version Challenge Stradale ou en version « normale », reste une véritable réussite esthétique qui aura fait rentrer la lignée dans une nouvelle dimension où le style est aussi important que la fonction.
L’exemplaire de A. notre sympathique propriétaire du jour, est selon ses propres dires un peu à la croisée des chemins. En effet au travers de la liste des options proposées par le constructeur, il était possible de se concocter une Stradale « civile » équipée de la radio et d’autres éléments de confort, ou bien une version « trackday » avec arceau de sécurité et vitres en makrolon (polymère plus léger que le verre) fixes avec ouverture à glissière. La « notre » n’a ni radio, ni arceau et possède des vitres électriques standard. Ce que ne l’empêche pas de rester très désirable.
L’habitacle 100% noir ne fait pas son âge au niveau du style. Avantage du dépouillement extrême de cette version. Le tableau de bord recouvert d’Alcantara, tout comme les sièges, s’avère en parfait état malgré les 10 ans de la belle. A vrai dire, je ne trouverais aucun élément véritablement marqué dans le cockpit, tout semble presque neuf. Prendre place à bord de cette Ferrari nécessite certes un peu de souplesse, mais c’est un jeu d’enfant par rapport a, au hasard… une Elise. Puis une fois installé, le baquet se révèle parfaitement adapté, très enveloppant sans être étriqué. Il n’y a guerre que le port des harnais de sécurité qui se montre un peu contraignant en dehors d’un circuit. Une fois sanglé, plus question de récupérer ses lunettes posées négligemment sur le tableau de bord par exemple…
Vient alors le moment de réveiller le dragon. Si au ralenti et à froid le V8 de 3.6L ne fait pas vibrer le mélomane, il s’avère tout de même assez sonore pour alerter les voisins que vous êtes sur le point de vivre une expérience intense. Le départ se fait à allure réduite, d’une part car il faut laisser le temps à la diva de s’échauffer, d’autre part car la maladie des dos d’ânes est une véritable plaie pour la Stradale qui frotte son fond plat sur ces inepties malgré toutes les précautions que l’on peut prendre. Au fil des kilomètres les fluides montent en température et le rythme peut s’accélérer. L’orchestre placé juste derrière mon siège fait ses gammes et commence à trouver ses harmonies. Le concert va bientôt commencer.
Pour ces premiers kilomètres, A. me fait le plaisir de lancer les hostilités dans un tunnel. Seconde, 8 500 trs/min, troisième, même régime, ce n’est plus un moteur, c’est un tyrannosaure qui se réveille ! Le hurlement est à la fois terrifiant et divin, me tirant une larme de bonheur. Bien entendu la poussée est à l’avenant. Aidée par la boite F1, l’accélération est à la fois intense et les changements de rapport brutal juste ce qu’il faut pour donner le change. Même s’il faut bien avouer que les performances ne sont pas (plus ?) ébouriffantes. Au plus fort de la charge, jamais je n’ai eu l’impression de perdre mes repères, il fût même difficile de se détacher d’une Audi TT 3ème génération qui avait décidé de jouer un peu… Et ce n’était même pas une S…
Cependant les performances de la Stradale restent tout de même bien au-delà de ce qu’il est raisonnable d’approcher sur route ouverte. Les 425 ch (réels ou fictifs) restent tout de même bien fougueux et méritent un minimum de respect.
Une fois au volant de la Diva, je me surprends à me sentir très rapidement à l’aise. Sans chercher à la pousser à la limite, la Ferrari se montre facile d’accès. La direction est à la fois légère et précise, elle ne nécessite pas les corrections continues que je craignais, suivant la route de façon très naturelle. Il n’y a en fait que le gabarit de l’auto, plus de 2m de large, qui empêche de s’amuser sur les départementales du Vexin avec la même insouciance qu’avec une Lotus. Car pour ce qui est des performances, elles sont certes largement supérieures, mais finalement elles paraissent plus faciles à exploiter. Même avec sa garde au sol très basse, la 360 est d’une stabilité bluffante. Malgré les imperfections de la chaussée, la voiture reste collée à la route tout en épargnant au pilote le sentiment d’être dans un shaker.
Bien entendu, je n’aurais pas eu l’occasion lors de cet essai de pousser l’engin à mes limites (pour ses limites à elle, je n’aurais pas la prétention d’avoir assez de talent), mais l’impression qui se dégage est celle d’une voiture à la fois efficace et saine.
Mais revenons un peu à la boite F1, j’ai l’impression d’avoir un peu rapidement passé le sujet. Apparue sur la F355, la boite F1 n’en était avec la 360 qu’à ses débuts. Depuis, elle a été maintes fois perfectionnées et aujourd’hui ce type de boite tend à disparaître au profit des boites à double embrayage. Pourtant j’ai adoré son maniement. En mode « normal » elle se montre relativement douce, ne générant pas d’à-coup trop marqué lors des changements de rapports. En mode « race », elle gagne en vitesse de passage tout en se montrant plus virile. Cependant elle ne donne pas l’impression de brutaliser la mécanique, de la martyriser. On sent bien sur que la sollicitation est forte mais pas plus que ce que l’on demanderait à une boite manuelle pour un changement à la volée. Elle a selon moi l’avantage sur les boites type DSG de toujours laisser la main au pilote. Pas de mode semi-automatique, ni de mode « intelligent » qui réfléchit à votre place. Avec cette boite c’est le pilote qui reste maître en toute circonstance, quitte à aller taper dans le rupteur s’il a été un peu trop lent à se décider. Pour une auto de cette envergure c’est à mon sens un véritable argument positif.
J’espère que j’aurais l’occasion bientôt d’essayer des versions plus récentes de la F1 car cela me permettra peut-être de mieux cerner ce qui est améliorable sur cette version. Là je ne vois pas.
En sortant de cet essai, je me rends compte de l’évolution sidérante des véhicules de sport ces dernières années. La 360 Challenge Stradale était il y a 10 ans le summum de la voiture de sport. Moderne, efficace et performante, elle représentait une sorte de Nirvana justifiant son prix de véhicule d’exception, presque d’œuvre d’art.
Aujourd’hui pour une fraction de son prix neuf, il est possible de trouver une palanquée de voitures de sport plus performantes, efficaces et faciles à emmener. Mais si la Stradale peut sembler aujourd’hui dépassée en performance, elle reste largement au dessus de la mêlée en termes de sensations : physique hors normes, châssis sensitif et musicalité ahurissante. Aucun risque qu’une quelconque allemande premium ne lui fasse de l’ombre sur le terrain de la présence. Et même dans sa catégorie, peu nombreuses sont les supercars actuelles à pouvoir rivaliser avec ses vocalises. Pour toutes ses raisons, je conçois que sa cote reste aussi élevée (130 000 € environs quand une 360 standard se trouve pour 2 à 3 fois moins cher).
Difficile d’essayer 10 ans après une auto qui a représenté pour moi un graal absolu. Non seulement l’idée de toucher au rêve risque de mettre en évidence les écarts entre le fantasme et la réalité, mais de plus les standards actuels ayant tellement évolué pour les automobiles sportives, ce qui était à l’époque le summum est aujourd’hui mis à mal par la moindre berline un peu musclée. La Ferrari 360 Challenge Stradale reste digne de la légende car au-delà des performances pures, c’est dans ses manières qu’elle se montre exceptionnelle. Elle garde sa place au panthéon par sa capacité à solliciter tous les sens. Imaginez rencontrer l’actrice de vos songes les plus fous et de réaliser que dans la réalité, elle est en tout point conforme à ce que vous imaginiez. Voilà pourquoi cette Stradale est si chère à mon cœur.