Personne n’avait jamais vu une sportive comme celle-ci. Le moteur devant, la boîte de vitesses à l’arrière, et au milieu, tout un espace à explorer : bienvenue à bord de la Porsche 924. Il y a 40 ans, la marque de Zuffenhausen prenait le monde de l’automobile par surprise avec sa sportive quatre cylindres dotée du système de transmission “Transaxle”. Un slogan publicitaire de l’époque donne le ton en annonçant un break sportif et familial : révolutionnaire dans l’univers de la sportive iconique 911 à moteur en porte à faux arrière flat6 refroidi par air ! Le Musée Porsche célèbre l’ère des “Transaxle” avec une exposition exclusive de modèles 924, 944, 968 et 928 du 27 avril au 16 octobre 2016.
En 1977 au Salon de Genève, un an après la présentation de la 924, le milieu de la voiture grand tourisme accueillait un nouveau modèle Transaxle : la Porsche 928. Même principe – moteur avant, boîte de vitesse à l’arrière – mais avec un moteur huit cylindres. À en croire les prospectus publicitaires de 1977, le concept de la 928 a bouleversé la hiérarchie de l’automobile en associant les performances d’une sportive racée au confort d’un coupé et à la polyvalence d’une voiture de tous les jours.
Transaxle est un mot-valise composé des termes anglais “transmission” et “axle”, ce qui traduit en français donne transmission et essieu. Dans ce système, la force motrice du moteur entraîne l’essieu arrière grâce à un arbre de transmission installé dans un tube rigide. À l’époque, l’assistance électronique à la transmission n’existe pas encore et cette idée est résolument novatrice. Le résultat ? Une répartition des masses équilibrée au profit de la maniabilité et de la tenue de route. Venant de la 911 de l’époque, ce n’était pas difficile de faire mieux ! La 928 a ainsi continué de se vendre pendant près de vingt ans. La Porsche 924 a quant à elle laissé sa place à la 944 et la 968. C’est en 1995 que l’ère des Transaxle prend fin, forte de près de 400 000 exemplaires vendus.
Un homme a vécu les débuts et la fin de la grande époque des Transaxle : Harm Lagaaij, designer chez Porsche. Aujourd’hui âgé de 69 ans, il a été le témoin privilégié de deux époques cruciales dans l’histoire de la marque. Jeune collaborateur, il signe le design de la 924, avant de quitter Porsche quelques années plus tard pour mieux revenir en 1989 en tant que Directeur du Design Porsche. Il imagine alors la silhouette des dernières Transaxle – la 968 et la 928 GTS – ainsi que de la dernière 911 à refroidissement à air, la 993. C’est également à cette époque que son équipe signe le design du premier Boxster et de la première 911 à refroidissement liquide, la 996, contribuant ainsi au renouveau de Porsche.
En visitant cette exposition temporaire au Musée Porsche, c’est aussi en quelque sorte l’histoire de Harm Lagaaij que l’on découvre. Il débute chez Porsche en 1971. Au printemps 1972, sa carrière prend un tournant décisif. Anatole Lapine, alors Directeur du Design, demande à son équipe de proposer des croquis pour l’EA 425, un projet d’étude confié à Porsche par Volkswagen. Harm Lagaaij commence alors à esquisser ses idées, sans se douter qu’il imaginait le design d’un coupé qui deviendrait quelques années plus tard la voiture de sport la plus vendue au monde : la Porsche 924.
« J’étais un jeune designer, un débutant de 25 ans, et j’ai joué un rôle déterminant dans le développement de la 924. Au début, c’était un projet Volkswagen. Je me souviens qu’il y avait trois propositions pour le design de l’extérieur de la voiture : celle de Richard Soderberg, celle de Dawson Sellar et la mienne. Nous nous étions tous les trois inspirés des spécificités du système Transaxle, mais étions arrivés à des résultats très différents. » Les trois idées ont ensuite été présentées à Wolfsbourg à l’aide de maquettes à l’échelle 1:5. « J’ai appris que mon travail avait été sélectionné », se souvient-il. Mais si c’est lui qui signe les proportions de la 924, la marque de fabrique des Transaxle est l’œuvre d’un autre designer. « Le Directoire de Volkswagen a beaucoup apprécié la grande vitre du hayon sur la maquette de Richard Soderberg. Elle a donc été intégrée à mon design », explique Harm Lagaaij. L’habitacle de la 924 et de la 928 est quant à lui conçu par Hans Braun.
La suite, tout le monde la connaît… ou presque. En vérité, de larges pans de l’histoire des Transaxle demeurent méconnus. Beaucoup savent qu’en raison du choc pétrolier, Volkswagen s’est retiré du projet EA 425 fin 1974, alors même que le développement du modèle était achevé et que la phase de préproduction avait déjà commencé. Il est également de notoriété publique que Porsche a alors racheté les droits de production en série de la nouvelle sportive et l’a mise sur le marché début 1976. En revanche, bien peu peuvent expliquer pourquoi la 924 s’inscrit dans la plus pure tradition des sportives Porsche de par sa motorisation et son design – même si certaines pièces du modèle étaient signées Audi et Volkswagen. « Ce projet développé à l’origine pour Volkswagen est devenu une réussite éclatante de Porsche : ça montre à quel point le design a été soigné », suggère Harm Lagaaij. Le designer soutient que si l’on considère encore aujourd’hui ce modèle avant tout comme une Porsche alors qu’il s’agissait à l’origine d’une commande de Volkswagen, c’est qu’il a été pensé et conçu comme une Porsche dès les premières esquisses. « Le design de la 924 m’est venu instinctivement. Ça a été une vraie surprise pour le public, car ce style était une grande première pour Porsche » poursuit Harm Lagaaij.
Alors même que le jeune Harm Lagaaij travaille sur la 924, quelques mètres plus loin, la 928 voit aussi le jour. Des photos d’époque du Centre de design montrent les deux modèles côte à côte. Anatole Lapine a également chapeauté la conception de la 928, et c’est Wolfgang Möbius qui a dessiné la silhouette de ce modèle grand tourisme. En examinant les deux voitures, on devine la convergence des idées. « Le concept de la Transaxle répond à la problématique de la répartition du poids dans l’optique d’atteindre l’équilibre parfait. Et les proportions finales montrent bien que cet objectif a été atteint », explique Harm Lagaaij. Il faut cependant zoomer sur les détails pour bien comprendre la parenté entre les deux modèles. L’aînée comme la cadette arborent un porte-à-faux avant court ainsi qu’un capot moteur et un toit longs. Le porte-à-faux arrière permet quant à lui de loger la boîte de vitesse placée derrière l’essieu et confère aux deux sœurs un équilibre parfait.
Avec son architecture Transaxle sortie tout droit des bureaux de Weissach, la Porsche 928 a été considérée par la plupart des journalistes du milieu comme la voiture la plus innovante de sa génération. Elle a même remporté en 1978 la plus haute distinction internationale pour une voiture en décrochant le titre d’European Car of the Year ! Au retour de Harm Lagaaij dans le giron de Porsche en 1989, la situation a changé. Avec la 944, la 928 et la 911 type 964, la marque commercialise trois séries dont la parenté esthétique n’est pas évidente. « À l’époque, nous nous efforcions de perpétuer un certain air de famille », commente Harm Lagaaij. « C’était la recette du succès. Je devais donc insuffler cet état d’esprit à ces trois gammes. »
En 1991, Porsche dévoile la 968 et la 928 GTS, donnant ainsi le coup d’envoi de la réunion de famille. « Mettre l’accent sur notre signature stylistique était devenu une priorité stratégique », explique Harm Lagaaij. C’est dans le même esprit qu’est commercialisée la 993 – une 911 qui se distingue clairement de sa devancière et qui, vue de devant, arbore un air de famille avec la 968 et la 928. Deux ans plus tard, l’ère des Transaxle touche à sa fin, annonçant une transition à laquelle Harm Lagaaij se prépare depuis longtemps : « Nous devions alors imaginer un design qui résiste à l’épreuve du temps. » Le designer a relevé le défi avec brio en ajoutant à la photo de famille Porsche les premiers Boxster ainsi que la gamme 911 type 996.
Source CP Porsche