Il y a des voitures que l’on reconnait au premier coup d’œil, même si on n’en aperçoit qu’un petit morceau, une vague forme ou une couleur. La Ford Cortina Mk1 est de celles-ci pour moi, encore plus dans sa livrée Lotus blanche barrée de vert. Ça ne veut pas dire pour autant qu’elle est particulièrement jolie, sa ligne partage un peu les cœurs d’ailleurs. Certains la trouve « plutôt moche » tandis que d’autres, dont je fais partie, lui trouve « un certain charme ». Ouais c’est pas le grand coup de foudre, mais elle a un petit quelque chose qui ne laisse pas indifférent ! Il faut dire qu’elle a marqué son époque, surtout en Angleterre, premier marché de cette Ford made in UK, à opposer aux Ford made in US un poil plus grosses ou aux Ford made in Allemagne un poil plus … allemandes. Oui la vie de Ford est plus qu’internationale en ce début des 60s.
Durant se genèse, la Cortina doit répondre au cœur de gamme avec une berline compacte destinée au plus grand nombre, mission peu évidente mais présentée en 1962 avec un 1198cm3 le succès est immédiat. Un gabarit généreux, un habitacle largement vitré et logeable pour 4, un coffre plus grand qu’il ne le faut sont de sérieux atouts pour la middle class anglaise. Elle est déclinée en coupé 2 portes, berline 4 portes ou break pour répondre à tous les besoins, puis l’ajout à la gamme d’un 1500 fini d’en faire un succès commercial. La Mk1 tire sa révérence en 1966, 4 générations la suivent jusqu’en 1982 et après 2.8 millions d’exemplaires vendus, elle est finalement remplacée par la Sierra, pour une nouvelle page de l’histoire Ford.
Le tour du proprio
Mais revenons à celle du jour, cette Mk1 de 1963, ou plutôt 1A puisque la 1B avec son facelift « aeroflow » débarque en 1964 affichant une calandre plus large qui regroupe les clignotants. Le premier trait qui marque est son flanc légèrement creusé soulignant la ceinture de caisse pour se terminer dans un semblant d’ailette surmontant l’aile arrière, sans doute une réminiscence des gigantesques ailes des américaines des 50s. La découpe de la malle de coffre souligne encore un peu plus cet effet, accentué ici par la déco Lotus et la bande latérale verte. De quoi mettre en valeur les magnifiques feux arrières circulaires que l’on retrouvera sur d’autres anglaises de la même époque, à commencer par les TVR et puis quelques années plus tard sur les remorques de fabrication artisanale. Ces feux sont clairement une autre des signatures stylistiques de la Cortina, non sans évoquer ceux des BMW Séries 02 tout aussi ronds et non moins jolis. Le pare-chocs arrière chromé est droit comme un I, débordant généreusement sur les flancs des ailes. Dans un soucis esthétique et peut-être aérodynamique, cette intégration commence dès l’arrière du passage de roue avec un joli bourrelet qui nait en douceur pour épouser le retour du pare-chocs, subtile et élégant, ce genre de détails rend la voiture visuellement plus cossue et aide à séduire.
A l’avant rien d’extraordinaire pour l’époque : 2 phares ronds, une calandre et un pare-chocs chromé. Ce qui change ici c’est que le pare-chocs est en fait séparé en 2 moustaches reléguées de chaque côté de la calandre. C’est l’effet Lotus et les fameux “Quarter Bumpers” qui dégagent ainsi la partie centrale et permettent d’alimenter en air frais 3 ouvertures sous la calandre. Mais cette face avant ne sombre pas pour autant dans la banalité des 60s, le capot intègre un joli badge Cortina qui se prolonge dans un long bossage remontant jusqu’au pied de pare-brise pour faire écho à la rainure du flanc et dynamiser cette berline placide qui sort des rondeurs des 50s. De loin le quidam pensera même à une prise d’air nécessaire pour alimenter un gros moteur, les prises d’air fake ne sont pas une invention récente 😉
Pourquoi du Lotus dans une paisible Ford ?
Voilà plusieurs fois que j’évoque Lotus, vous vous demandez peut-être pourquoi le génie de Colin Chapman viendrait se pencher sur le berceau de cette Ford compacte et populaire ? L’histoire remonte à 1961 lorsque Colin cherche à remplacer le couteux Coventry Climax qui équipe ses voitures de course ou de route. Il se rapproche de quelques connaissances, dont Keith Duckworth (le worth de Cosworth un peu plus tard), pour tuner le Ford Kent 997 cm3. Il évoluera en 1340 et enfin 1498 pour débuter sa carrière dans la Lotus 23 de Jim Clark au Nurburgring 1962 avant d’être glissé sous le capot de la toute nouvelle Lotus Elan. C’est sous sa cylindrée de 1557 cm3 que Ford va le convaincre d’en équiper 1000 berlines pour satisfaire l’homologation Groupe 2 : l’histoire de la Type 28, ou Lotus Cortina ou Ford Cortina Lotus est lancée ! Ford s’occupe de la partie commerciale et publicitaire, tandis que Lotus reçoit les caisses à son usine de Cheshunt pour les équiper du double arbre maison mais aussi de trains roulants, freins et suspension spécifiques, portes, capot et coffre en aluminium pour transformer l’agneau de moins de 800 kg en véritable loup fort de 105 ch en sortie d’usine, et bien plus après une petite préparation.
Coup de génie puisque les petites Ford tout juste homologuées fin 1963 (le temps de produire les 1000 exemplaires) vont rapidement accumuler les succès en piste, assurant une excellente publicité au modèle de base. Jim Clark remporte le championnat britannique de voitures de tourisme 1964 et Jackie Stewart la fait briller aux USA. Pour 1965 c’est John Withmore, Jack Sears ou encore Jacky Ickx qui s’ajoutent au palmarès de la Cortina en piste. Elle brillera aussi sur les routes du Tour de France Auto, la Coupe des Alpes ou le Liège-Rome-Liège au long cours, ou les rallyes Monte Carlo, San Remo, Suède, Grèce et Angleterre démontrant sa polyvalence sur tous types de terrains. La moisson de succès s’arrête en 1966 avec l’arrivée de sa remplaçante, la Lotus Cortina Mk2…
Un intérieur sombre et lumineux
On referme la parenthèse historique et on peut ouvrir la longue porte du coupé. Oui, longue car l’auto fait près de 4m27 de long et cette porte donne accès aux places avant mais aussi vers celles à l’arrière. A bord l’ambiance est sombre (en couleurs) mais sobre : sellerie skaï noir sur deux sièges séparés à l’avant et une banquette qui prend toute la largeur derrière font face à un tableau de bord … noir en bonne partie ! Heureusement le joli volant bois Lotus et pommeau assortis mettent une touche sportive et chic à la fois. Le bloc avec ces 3 larges compteurs à fond … noir renseigne le conducteur sur la vitesse, le régime moteur, la température d’eau et le niveau d’essence. Le minimum vital pour rouler, tandis qu’un peu plus bas au centre la commande de chauffage très stylée surplombe une large tablette qui fait office de grand vide poche. Fort pratique même si les objets déposés vont vite servir à mesure les G latéraux en entamant de grandes glissades au fil des virages. Et encore un peu plus bas, devant la commande de boite une magnifique horloge carrée très stylée. Un ensemble bien agencé et plutôt complet, notons pour finir le délicieux et déroutant commodo de clignotants, phares et klaxon avec ses grandes palettes horizontales. Une fois la porte fermée, ce qui surprend agréablement malgré ce mobilier noir c’est la grande luminosité qu’offrent les surfaces vitrées généreuses associées à des montants plutôt fins. La vision périphérique est ultra bonne, si bien que le seul rétro extérieur couplé au rétro intérieur sont largement suffisants pour contrôler l’environnement.
Gentleman, start your engine
Assez parlé, allons faire un tour ! La clé de contact se trouve sur la gauche du tableau de bord, comme sur une 911 … ou une 2cv :). Premier cran on entend la pompe à essence électrique mettre sous pression le circuit, deuxième cran et le bloc s’ébroue sur un ralenti plutôt instable qu’il faut tenir à l’accélérateur. Miam la sonorité est tout à fait sympathique avant même d’avoir mis la première et commencé à rouler. La pédale de gauche est assez ferme, clac la première s’enclenche avec un débattement réduit et je décolle non sans quelques à-coups du au régime de ralenti variable. C’est parti, je mets rapidement la seconde pour laisser le temps à la mécanique de monter en température, le débattement de la boite étant toujours aussi court sur un guidage précis, tandis que la direction à crémaillère est net sans demander trop d’effort à partir du moment où l’on roule. Après quelques minutes de prise en main tranquille, l’aiguille de la température d’eau se rapproche du milieu de ses graduations, signe que l’on peut maintenant hausser un peu le rythme. Le 4 cylindres se lance alors dans des vocalises des plus sympathiques, mélangeant le bruit d’admission à celui de l’échappement pour une bande son très valorisante, j’adore ! La suspension sèche mais assez confortable quand même autorise des transferts de masse contenu, c’est finalement le siège qui perturbe un peu le conducteur en donnant des rebonds et aucun maintien latéral autre que celui de la (petite) ceinture ventrale.
L’autre point perturbant se situe sur la pédale du milieu : le freinage n’est pas génial, mais c’est dû au montage de cette auto sans assistance et avec une répartition avant arrière sans doute perfectible. C’est au programme pour le prochain passage chez le sorcier, plus de mordant et moins de vibrations devraient permettre d’attaquer plus sereinement. Quoiqu’il en soit la mécanique est très volontaire, même pour reprendre assez bas dans les tours, la caisse rigide comme il faut uniquement équipée d’une barre anti-rapprochement avant supérieure. Le trajet des Alpes vers Montlhéry pour le God Save the Car 2021 (lire ici) se passe à merveille, avec un mélange de petites routes, nationales et autoroute avalée à 120 km/h GPS très paisiblement. La chaleur importante de ce début juin se digère en ouvrant les deux vitres avants et les custodes arrières, la climatisation est en route ! Passons au plat de résistance du week-end avec le roulage sur le mythique anneau de Linas : ces quelques tours me laisse imaginer ce que peut être une voiture largement préparée, certains bruits de paddocks parlent de 190 ch pour moins de 700 kg avec arceau/baquet/harnais ! On comprend mieux les batailles épiques avec des autos parfois plus grosses à Goodwood par exemple durant le Revival (lire ici). Dans mon cas on reste plus sage, l’état du béton parisien accuse un peu le poids des années, mais le plaisir est là ! La voiture prend ses appuis et les tiens, le couple du moteur est super appréciable pour ne pas “taper dans la voiture” inutilement, la direction permet de placer la voiture à peu près là ou on veut. Reste ces freins perfectibles et le maintien dans le siège, mais le voyage dans le temps est déjà là, magique…
Vous en voulez une aussi ?
Bref vous l’aurez compris je suis sous le charme après cette balade d’un peu plus de 1300 km le temps d’un vendredi soir et d’un samedi. Et pour tout vous dire, je l’étais déjà avant, mais ça le confirme. Si vous aussi vous lui trouvez un certain charme, encore plus sous ce déguisement Lotus, armez-vous de patience. Ultra répandue en Angleterre, elle le fut moins en France bien que produite en Hollande pour les versions continentales avec le volant à gauche. Il faudra donc surveiller les annonces et être prêt à dégainer assez vite lorsque vous trouverez l’élue de votre cœur. Celle-ci par exemple après une restauration en Allemagne en 2015 est partie en Ecosse avant de revenir sur le continent en milieu d’année dernière. Concernant les vraies Lotus, beaucoup sont utilisées en VHC (et avec succès) ce qui font que les versions civiles sont rares … et donc chères. Les dernières ventes aux enchères tournaient autour de 50.000 Euros, une version affutée (et sans palmarès) demandera encore un peu plus. Une belle Cortina en état correct (attention à la corrosion) se trouve aujourd’hui entre et 7 et 10.000 Euros, un coupé 2 portes étant plutôt dans le haut de la fourchette. Concernant les pièces et l’entretien, aucun soucis puisque très diffusée, des nombreuses échoppes spécialisées s’y consacrent. On notera particulièrement RetroFord en UK qui propose une large palette d’optimisations susceptibles de donner un malaise à votre contrôleur technique rien qu’en en lisant la description.
Crédit photos @ Ambroise BROSSELIN (photos statiques) et Mickaël ROUX (photos dynamiques à Montlhéry)