Enfin, pour la première fois de ma vie je roule en voiture « verte », une Exige 410 Sport Vivid Green, une peinture exclusive Lotus du meilleur effet sur le petit coupé Anglais. Pas dit que la couleur favorisera l’éco-conduite, je suis même certain du contraire.
Mise en bouche
Avant parler balade, parlons du modèle, précédemment piloté sur piste par Philippe (lire ici). Présenté en mai 2018, la 410 pour 410Hp (416cv) remplace la 380 au catalogue tout en incluant nombre d’options d’origine tel que le pack Alcantara, aérateurs recouverts d’Alcantara, baquets carbone, hayon moteur en carbone, disques de freins J-Hook, ressorts et amortisseurs nitrons trois voies remplaçant ceux optionnels deux voies précédemment au catalogue, le tout alourdissant le prix de la 380 de 8k€, normal.
Mais philosophiquement, qu’est-ce donc que l’Exige 410 Sport ? C’est une Exige 430 Cup civilisée. C’est quoi une Exige 430 Cup ? C’est une Lotus qui tourne aussi vite qu’une Porsche 911 GT3 RS (2018 facelift) sur le circuit tests de la revue EVO, Anglesey Coastal: 1m14’7’’ pour l’Anglaise (voir la vidéo ici), 1m14’7’’ pour l’Allemande. Quand vous avez compris cela, vous avez déjà fait une bonne partie du chemin. Le temps de la 410, 1m18s, n’a rien d’ébouriffant comparé à la 430 mais l’essentiel n’est pas là.
L’essentiel est que la 410 reprend tous les fondamentaux de la 430 : suspension, barres anti-roulis, freins, pneus, moteur, embrayage compétition, radiateur d’huile de la boite de vitesses. Elle perd 20cv et 20Nm tout en échangeant l’énorme aileron procurant 220kg d’appui contre celui de la 380 n’en procurant que 150 à la vitesse maximale, le tout agrémenté d’un nouveau setup châssis. Ça c’est sur le papier, dans la réalité la 410 est une brute, amicale mais une brute. Excité de la coiffe passez votre chemin, cette voiture n’est pas pour vous. Si certaines sportives ne sont pas à mettre dans toutes les mains, celle-ci caricature l’adage. Cela va vite mais surtout, cela nécessite un bon niveau pour l’exploiter et surtout la canaliser.
Essai contrarié et contrariant
Ce matin de novembre, après plusieurs reports pour cause de météo pénible, je peux prendre livraison de mon jouet du jour dans une alcôve du 6ème arrondissement de Lyon. Je retrouve cet habitacle familier et teste pour la première fois l’assise des baquets Lotus en carbone, de vrais sièges ergonomiques. Enveloppant au niveau du bassin, le baquet guide longitudinalement les jambes faisant ressentir le léger décalage du pédalier sur la droite, rien de grave, c’est oublié au bout de trois secondes.
Rapidement, pédale d’embrayage enfoncée, je tourne la clé de contact provoquant un jappement à l’échappement. Le moteur se stabilise, un feulement sourd et grave résonne dans l’espace confiné du garage.
Alexandre (Lotus Lyon) à la bonne idée de me faire sortir la 410 en marche arrière avec pour commencer un braquage en butée à l’arrêt, pardon, un pivotement des Michelin Sport Cup 2 avant, des 215/17 R35. Je connais l’Exige 350 (lire mon essai ici) avec des Pirelli 205/17 R35, rien à voir, même froids les Michelin collent au sol. Ils imposent une musculature de bucheron. Cela vous met dans l’ambiance. Puis le jouet recule pendant qu’Alex s’assure que je ne laisse pas sur le trottoir sa lame avant carbone très basse.
Après cette sortie «musclée», j’écoute poliment Alex, heureux de m’expliquer le fonctionnement de la connexion Bluetooth du poste radio à mon iPhone, fonctionnalité me passionnant tout comme celle du régulateur de vitesses, des crétineries, pardon des concessions à la modernité. Un régulateur ??? What the fuck !
Ces explications rapidement oubliées je m’engage le long de la place Maréchal Lyautey pour vite me retrouver stoppé au feu rouge dans une légère montée quai de Serbie. Le feu passe au vert, mon pied habitué à l’accélérateur de l’Elise j’accélère un peu fort dans cette légère pente et je sens la voiture partir à l’équerre via un léger travers, Oulah ! Je relâche l’accélérateur et les pneus retrouvant du grip propulsent violemment la voiture. Les Michelin Sport Cup de 285/18R30 me rappellent qu’ils sont froids tout comme le sol. L’antipatinage, fort discret, m’a sûrement remis dans le droit chemin.
Passons cette sympathique mise en bouche pour dès l’avenue maréchal Foch commencer à supputer deux choses, la première, la raideur de l’amortissement, aux antipodes de celle d’une Exige 350, Fred (Lotus Lyon) m’avait averti, la seconde, la confirmation d’un couple gargantuesque. Ce moteur est celui de l’Evora GT410 Sport avec son compresseur refroidi via un échangeur. Dans ce petit coupé il ne force pas. Je circule en ville entre 1500-2000tr/min, jamais au-delà, à peine vous avez passé la seconde, vous passez la 3ème, puis la quatrième, plus par habitude ou divertissement que par nécessité. A basse vitesse, dès 2000/min, vous rentrez dans une zone dangereuse pour la ville, c’est trop rapide et les reprises instantanées vitrifient le voisinage. Le revêtement urbain semble dégradé tellement la voiture bouge à la moindre déformation de la chaussée. Sitôt sur l’autoroute, cela va mieux, la voiture se positionne sur des rails et n’en bouge plus même si j’observe les ailes avant ondulées au fil de l’horizon. Le confort reste acceptable mais une chose est certaine, comparée à une 350 ou même une 380, la voiture est «raide».
Rapidement confronté à de la brume je déboule chez Gilles Calderoni. Cela ne m’aura pas empêché de tester rapidement accélérations, reprises et roulage sur routes grasses secondaires pour découvrir que la suspension n’aime pas les départementales Françaises, je m’en doutais, et que passer les 4000tr/min la valve à l’échappement vous gratifie d’un son tétanisant tout sonomètre. Cette dernière n’est plus activable depuis le tableau de bord via le bouton sport, merci à une directive européenne datant de mi-2016. Notez que passée une certaine vitesse, la voiture bouge moins, surement un réglage obtenu via les Nitrons. Autre point marquant, la direction ultra-précise associée au Michelin Sport Cup 2 remonte toutes les informations du tarmac, jusqu’à la granularité de l’enrobé d’autoroute ! On en reparle. Pour être transparent, il ne me faut pas longtemps pour douter de son exploitabilité sur route ouverte. Cette Exige me rappelle, en moins pire, mon ex-Elise 111R Pack Sport LSD, aussi rétive à conduire sur une départementale au revêtement abîmé, même et surtout aux vitesses légales car plus je roule vite, meilleure est la stabilité.
Arrivé chez Gilles, le temps d’un café, je lui présente la voiture. Gilles scrute le jouet avec son œil d’ancien mécanicien de course de Marcel Tarrès : « Joli et agressif le bouclier avant, il rappelle celui de la One », l’hypercar Mercedes, « Attention à la plaque, elle obstrue les 2/3 du refroidissement moteur, cela passe en hiver, pas en été, il faudrait une plaque moto où un sticker carrosserie ». Les voitures presse de Lotus adoptent le même montage avec une plaque positionnée légèrement plus haute.
Horrifié par l’accessibilité au moteur, Gilles est impressionné par la finition carbone de la voiture et les pièces de compétition retenues par Lotus « Le capot moteur en carbone est impressionnant, magnifique pièce».
Détaillons les amortisseurs, des Nitrons trois voies NTR RaceR3 (manuel pdf ici), réglables au rebond (24 clics d’ajustement) et en compression à basse vitesse (24 clics d’ajustement) et en compression à haute vitesse (16 clics d’ajustement) qui nécessitent d’être révisés en fonction de l’usage tous les 20.000-30000km, donc renvoyés à l’usine ou chez un spécialiste, du vrai et beau matériel de compétition avec ses contraintes. Notez que les valeurs de clics sont différentes dans le manuel Nitron : Rebond 22 / Compr. bV 26 / Compr. hV 16.
Parlons aussi des barres anti-roulis, des Eibach réglables à l’avant et à l’arrière car si Lotus présente la voiture comme une version accessible de la 430 elle n’en reste pas moins une pistarde, comme toute bonne Lotus.
ERRATUM du 01/12/2018 : Sur ma demande, un propriétaire d’Exige 430 vient de m’envoyer les réglages usine des nitrons de sa voiture, ils sont identiques à ceux de la 410, aussi bien en détente qu’en compression, ce qui explique donc la fermeté de la 410 alors que sa déportance est 70kg inférieure à celle de la 430 à la vitesse maximum.
Parlons aussi des disques de freins en deux parties J-Hook (du nom des stries des disques en forme de crochet) Av 332 mm x 32 mm, Ar 332 mm x 26 mm, impressionnants par leur constance et leur puissance. Je n’ai jamais conduit de Lotus freinant aussi fort ! Rien à envier à des disques carbone mais compte tenu des 1139 kg (poids contrôlé plein d’essence fait), ils ne fatiguent pas. Dommage que Lotus n’équipe pas ainsi toutes ses voitures mais le coût explique surement leur absence dans le reste de la gamme.
Enfin, passons à l’essai de Gilles qui nous assurera un avis circonstancié, celui d’un professionnel reconnu. Il commence par les exercices de mise au point qu’il applique aux Ferrari pour vite hausser le rythme: « la direction est ferme, très directe, on le doit à l’absence de direction assistée mais surtout à la largeur des pneus avant et du type de Michelin, très adhérent ». Je confirme, des éponges sur sol sec, moins sur terrain gras. « Le guidage du levier de vitesses est remarquable, débattement court, c’est très précis, jouer avec les rapports est un régal ». « En courbe ou en virage serré, avec la force G latérale encaissée, les baquets mériteraient d’être plus enveloppants aux épaules ». « Il y a un bonne attaque à la pédale d’embrayage, rien à dire, c’est très bien mais ce qui me plait le plus c’est la réponse des freins, superbe, c’est parfait, très bien. Le freinage est impressionnant, la voiture parfaitement équilibrée en appui lors des décélérations. Chapeau bas à Lotus, question châssis, c’est top ! Le comportement en courbe est parfait, rien à dire en virage serré. Le V6 est plein à tous les régimes et le son très sympa ».
« Le seul bémol que je pourrais avoir concerne l’amortissement. Suivant l’usage, il faudrait un peu l’assouplir en compression, par exemple, en commençant par deux clics sur l’arrière pour un sur l’avant, c’est envisageable. Il ne faut pas faire n’importe quoi et travailler méticuleusement ». « Avec cette voiture, on oublie le confort, on se concentre sur le pilotage. On accepte de perdre un peu en adhérence sur revêtement médiocre parce que nous ne sommes pas dans le monde des GT, ni celui du tourisme, mais celui du pur pilotage, c’est un jouet fabuleux, même exploité à 80% ». « Cela va très vite et les sensations n’ont rien à envier à celles d’une supercar tarifiée plus du double ». Je confirme même si je suis perplexe, la voiture se désunissant à la moindre aspérité. Une chose est certaine, réglée à sa convenance, cette Exige convaincra son futur propriétaire. Gilles se veut rassurant : « Tu ne peux pas conduire une F40 et te plaindre de sa brutalité et son inconfort, c’est la même philosophie que la Ferrari ». Il est vrai que parmi mes connaissances on trouve deux propriétaires de F40 possédant une Exige, pas vraiment une coïncidence…
Me plaindre ? Pas trop mais un peu, de retour, arrivant sur Lyon en roulant sur l’A42, subitement le volant se met à vibrer fortement pour s’arrêter de me secouer dès le changement d’enrobé, non les gars, pas ici, pas à 90km/h, pas sur l’autoroute ! Avec l’Elise Sport 220 (lire mon essai ici), aucune perturbation n’est à relever en ce lieu, ni avec l’Exige 350, sans parler de l’Evora 400 (lire mon essai ici). Ainsi réglée cette 410 est plus une pistarde qu’une routière. Sur un bitume parfait, le comportement est exceptionnel, ailleurs, il faut composer.
Un peu de rationalité
Pour expliquer ces ressentis, parlons technique. D’un point de vue aérodynamique, à sa vitesse maximum, la déportance (force aérodynamique appuyant la voiture au sol) atteint 150kg (60av-90ar). Celle de la 350 s’élève à 88kg et bien que la déportance soit augmentée d’un tiers sur la 410 la traînée aérodynamique reste identique à celle de la 350. Contrairement à la 430, Lotus veut la 410 plus civilisée néanmoins il est possible que la marque règle la suspension pour supporter la déportance à la vmax optimiste: 290km/h, d’où cette raideur. Il est aussi probable que tout comme la précédente génération le réglage de la version Roadster soit plus souple du fait d’une vitesse max limitée à 233km/h pour cause de soft top, donc une déportance moindre. Ceci expliquant peut-être que les essais route de la presse Anglaise l’aient été avec une version Roadster, certains la trouvant même étonnement confortable.
Autre point important, si l’Exige 380 et la 410 reçoivent des Michelin Sport Cup 2, les caractéristiques des pneus arrière diffèrent et cela change tout : hauteur de flanc et diamètre du pneu diminuent sur la 410 pendant que leur largeur augmente de 20mm. Cela impacte directement le confort mais aussi le déploiement du pneu donc la vitesse et la force motrice transmise au sol, très supérieure à celle d’une 380. Le couple moteur augmente sur la 410 (420Nm de 3000 à 7000tr/min contre 410Nm à 5000 tr/min pour la 380). Dans les slides ci-dessous j’ai calculé les dimensions des pneus et les vitesses théoriques ainsi qu’en Nm la force motrice totale transmise aux roues, non divisée par deux pour obtenir celle unitaire, la somme globale m’apparaissant plus parlante.
Base de calcul pour le schéma précédent, sont aussi fournies ci-dessous les courbes théoriques de couple et puissance de toute la gamme (source ici). Concernant celles de la 410, c’est une reprise des courbes de l’ancienne Evora 410 Sport, pas de la nouvelle Evora GT 410 Sport, cela donne une tendance même si ces valeurs sont minorées comparées à celles de la nouvelle cartographie moteur.
Ci-dessous mes notes personnelles sur les pièces en carbone, sans celles-ci, la 410 pèserait 1170kg plein d’essence fait, plus lourde qu’une 350 V6 S 2012 ! (1160kg)
Conclusion
L’Exige 410 Sport déclasse la précédente génération d’Exige en terme d’agrément moteur et conduite modulo un réglage châssis spécifique à son usage. Ce qui n’a rien de rédhibitoire, cela peut même s’avérer intéressant et formateur.
Mon seul regret est que Lotus ne propose pas un pack allégeant l’Exige 350 Sport de 40kg, soit 100 de moins que le modèle 2012, loin d’être asthmatique dans mes souvenirs. Cette variante serait sûrement aussi sympa même si moins rapide. Je dois reconnaître que j’appartiens à cette catégorie de personnes qui privilégiera toujours le gain de poids au gain de puissance, à savoir alléger au maximum la voiture avant d’ajouter de la puissance.
En attendant, que les futurs propriétaires de cette 410 profitent bien de l’ancien monde car le nouveau l’éradiquera vite du catalogue Lotus et comme dit Gilles, qui connaît bien sa cousine éloignée, « C’est la même philosophie qu’une F40 ». Que demander de plus ?
Merci à Fred & Alex (Lotus Lyon) pour le prêt de la voiture et leur confiance. Merci à Alex pour le support logistique nécessaire à l’article. Merci à Gilles Calderoni pour l’analyse fine du comportement de la voiture.
Article exceptionnel !
Moi même propriétaire d’une Cup 430, j’en ai appris.
Merci
Un grand bravo pour cet article de très haut niveau!!!
Merci pour ce test
Il aurait été intéressant de jouer un peu avec les réglages chassis (au moins avec quelques clics de la suspension) pour se faire une meilleur idée de la qualité de l’auto sur route ouverte
Sur une Elise équipée de Nitrons, on passe d’une pistarde à une auto agréable sur route en seulement 2 clics (certes avec des 1 voie plus simple à régler)
ça vous donne une raison de ré-emprunter l’Exige à Lotus Lyon 😉